LE TAXI DE HAMOU
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  Hamou ZITOUNI

 

C’est le seul taxi du village.

 

Enfant, me tenant sur les genoux de mon père à l’avant du véhicule, je déchiffre les lettres peintes sur le pare brise, d’une main experte qui réussit à donner l’illusion du relief, « I.X.A.T » ce qui, vu de l’extérieur donne évidemment « TAXI ». C’est une énorme automobile noire Citroën. Hamou ZITOUNI en est très fier, de son Taxi.

 

Hammou est un homme entreprenant, il est propriétaire du Taxi, Assistant du Docteur, il investira ensuite dans un établissement qui, en plein centre du village est toujours plein à craquer, le Café Maure, il le modernisera en y installant un superbe phonographe à pavillon qui ressemble à celui qui figure sur l’emblème de la marque « La voix de son maître ». Ce phonographe, c’est ma Marraine qui tient la poste de Bel-Hadri, un petit hameau près d’Aïn Tédelès, qui le lui a donné. Il va déverser de la musique orientale, à tu tête, dans la rue, ce qui n’est pas toujours apprécié des passants européens, notamment des jeunes qui préfèreraient entendre les derniers disques à la mode « Les Chaussettes noires, Les Shadows ou autre Harry Belafonte … »

 

Le Taxi de Hammou sert à nous transporter à moyenne et longue distance, car mon père n’a pas de voiture : il achètera sa première Dauphine en 1957. Nous nous entassons dans la voiture qui comporte, outre les sièges arrières en forme de banquette, des strapontins que les enfants se disputent. Nous n’en sommes pas encore aux ceintures de sécurité et autres sièges pour enfants, les enfants vont sur les genoux des parents.

 

Le nombre limite de passagers est atteint … quand le taxi est plein !

 

Un week end sur deux, c’est « grande sortie » au Lycée pour les internes. Après le repas de midi du Samedi, nous nous précipitons, Bulletin de Sortie en main, devant le concierge dont la carrure imposante barre le dernier rempart, la lourde porte qui donne sur la rue. Le Concierge du Lycée, a une jambe de bois, il se déplace avec difficulté, mais ne manque pas d’humour. Quand tous les matins, Monsieur DUIN, le professeur de sciences naturelles, le salue et lui lance : « alors ça va ? », il répond invariablement « Ca va, à part le pied qui me démange ! », les passants, gênés ne savent pas quelle contenance prendre, eux deux se lancent un regard entendu. Le père DUIN en profite pour agrémenter de cet exemple, son cours sur le système nerveux.

 

Nous voilà dehors, endimanchés, chemise propre, cravate, souliers cirés et cheveux luisants de brillantine. Le plus souvent, nous nous précipitons vers le départ des cars, de temps en temps, ma mère vient nous chercher, avec Hammou. Un, deux, trois, quatre, cinq, six..., il proteste devant son taxi qui affiche complet, mais se laisse toujours attendrir par le petit dernier, on se pousse un peu, qui malgré tout arrive à se faire une petite place. Pour nous, c’est le grand luxe, nous arriverons à Ouillis une bonne heure avant le car. Ma mère est heureuse avec toute sa marmaille qui descend en se bousculant, à peine la voiture arrêtée devant la maison.

 

Un samedi de « grande sortie » comme d’autres, ma mère est là, devant la porte, comme à son habitude, Hammou a ses côtés, ils font une drôle de tête ! Un inconnu, en costume gris, cravate sombre, est à leurs côtés. Nous sortons comme d’habitude, mais, au lieu de monter dans le taxi, on nous regroupe et lorsque nous sommes au complet, on nous emmène tout près du Lycée, au Commissariat de Police !

 

La petite troupe, encadrée par ma mère, parfaitement calme et Hammou qui laisse transparaître son inquiétude, traverse la petite cour du Commissariat et pénètre dans un grand Bureau. Un silence de mort règne, le Commissaire nous explique qu’une plainte a été déposée contre Hammou le Taxi, pour concurrence illégale faite au transporteur DELERM. Hammou tente de se justifier, ma mère confirme ce qu’il déclare, les enfants ne sont pas tous les siens, mais on ne va quand même pas laisser un taxi monter à Ouillis à moitié plein, sous le nez des amis, des voisins !

 

Le Commissaire est  un brave homme, plutôt gêné, il sermonne Hammou, celui ci fait amende honorable, et on nous permet de partir, tous. Pendant ce temps, le car DELERM a pris la route, et, suprême bonheur, nous allons au bout de quelques kilomètres, le doubler, sous les cris de joie et les moqueries qui éclatent dans le Taxi. Nous arrivons à Ouillis, ma mère raconte l’aventure et les Ouillissiens, outrés et solidaires de leur Taxi, décident, dès lors, de boycotter le car DELERM !

Hammou raconte à tous, par le détail, comment nous avons échappé, et lui le premier, à des sévices policiers qu’on imagine avec effroi, peut-être même à la prison, grâce à la présence de Madame BOUCABELLE, il prononce son nom avec le respect qui est du à un avocat qui vient de faire libérer un innocent, injustement accusé.

 

Hammou continue donc à nous emmener à Mostaganem ou, plus loin, plus périlleux, à Bel-Hadri, via Aïn Tédelès. Plus périlleux car il faut descendre les « Terres Blanches », une  route étroite qui serpente sur la rive du Chélif. Hammou aime bien les descentes, mais pas son taxi.

 

Un Dimanche, nous avons décidé, avec la famille SEVA, de nous rendre au Spectacle du Cirque Amar, à Mostaganem. Nous nous installons dans le taxi, je prends place à l’avant sur les genoux de mon père, ma place favorite. Le taxi s’ébranle, Mostaganem est à trente kilomètres de Ouillis, il nous faut un peu moins d’une heure pour les accomplir, la route est sinueuse et Hammou n’est pas un fou de vitesse. D’ailleurs, lorsque nous arrivons à hauteur du phare du Cap Ivi, il met la boiye de vitesse au point mort et coupe le moteur.

 

La route descend sur plusieurs kilomètres, les quelques courtes portions qui remontent légèrement seront franchies grâce à l’élan, la voiture roule en silence, quand, tout à coup, elle refuse de suivre le méandre de la route : dans un virage un peu serré, elle file tout droit. La direction ne répond plus ! Hammou freine, mais les freins ne fonctionnent pas mieux que la direction, ils n’arrivent pas à stopper l’engin qui file à plus de trente à l’heure ! nous terminons notre course contre un bac à sable posé sur l’accotement, tout le monde descend de la voiture précipitamment : Hammou se rue sur l’extincteur et asperge le moteur parfaitement froid, puisqu’il l’a coupé dès le cap Ivi franchi.

 

Puis on constate les dégats, on compte les blessés : deux, Gisèle SEVA, assise à l’arrière sur les genoux de ma mère à heurté de la tête l’extincteur fixé sur le montant entre les deux portes, elle pleure dans les bras de ma mère qui la console, et moi qui, sous l’effet du choc, ai été projeté en avant contre le pare brise, j’ai une belle bosse et je saigne légèrement. C’est moi qui suis le plus gravement atteint ! Tous s’empressent de me rassurer, la bosse prend vite la taille d’une pièce de cent sous. La voiture n’a pas grand chose, l’énorme pare choc a enfoncé le bac à sable, qui, ainsi déformé à tout jamais servira de témoin silencieux de notre aventure.

Nous aurons un regard pour lui, chaque fois que nous passerons devant, au cours de nos déplacements futurs.

 

Une voiture, venant de Mostaganem s’arrête pour nous porter secours, une autre roulant derrière nous en fait autant. Constatant qu’il y a, finalement plus de peur que de mal, les rescapés embarquent en direction de Mostaganem et ma mère qui refuse catégoriquement de laisser son fils sans soins, me ramène à la maison dans le véhicule de cet l’automobiliste serviable qui nous a porté secours.

 

Elle et moi revenons chez nous, elle me soigne.

 

Quelques minutes après, arborant un superbe pansement au front, nous arrêtons une voiture qui va vers Mostaganem et quelques instants plus tard rejoignons la petite troupe devant l’entrée du Cirque Amar. Le soir au retour nous prenons, après avoir longuement négocié le prix de la course un Taxi Mostaganémois qui nous ramène, en toute sécurité.

 

Chacun rentre chez soi après cette journée agitée. Les dompteurs de bêtes sauvages, les trapézistes et surtout « l’homme canon » nous ont impressionné par leur témérité, mais, ce jour là, il faut bien le reconnaître, en toute modestie, c’est quand même nous qui avons couru le plus grand risque … en empruntant le taxi de Hammou !

 

Le soir Hammou, que nous avons abandonné auprès de son véhicule, vient prendre de mes nouvelles, il rend hommage à mon courage : pendant un instant, en effet, je me suis, dans un bel élan humanitaire, préoccupé des autres, négligeant ma propre blessure !

 

Ces paroles compatissantes ont pour effet de calmer la colère de mes parents. Mon père, qui se sent même un peu coupable de l'avoir abandonné lui demande comment il est rentré ?

- Mais, avec le taxi … j’ai réparé la direction avec du fil de fer, répond-t-il, assez fier de lui.

 

Pendant quelques jours, et jusqu’à ce que nous ayons constaté que le taxi a fait l’objet d’une réparation en bonne et due forme, par un vrai mécanicien, Monsieur JUAN, nous nous abstiendrons de prendre le taxi. Ce qui n’empêche pas Hammou de rouler :

- Je ne peux pas arrêter le taxi, on a commandé les pièces ! donne-t-il comme explication, et puis le fil de fer, il est solide, j’ai mis double épaisseur.

Quelques jours après, tout rentre dans l’ordre, Monsieur JUAN a réparé le véhicule, il a même refait les garnitures des freins qui en avaient bien besoin. Hammou peut, à nouveau transporter ses clients.

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Mise à jour : 29/02/2008