YVON LE TOUBIB
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Yvon LIGNEREUX est un enfant du village, et, devenu Médecin, il ne l'a pas oublié, son village. Son frère Roger, qui habite après l’Eglise, presqu’à la sortie de Ouillis, en direction d’Aïn Tédélès, a mis à sa disposition deux pièces en rez de chaussée, pour lui permettre de consulter.

Très vite, la maison de Roger LIGNEREUX va être le véritable dispensaire du village.

Toute la population du village et des alentours le consulte.

Yvon n’a pas seulement la vocation, il a un don : il a le contact, comme on dit aujourd’hui, et, pardonnez le jeu de mot il a une qualité exceptionnelle pour un toubib : il est patient. D’une patience naturelle, faite de dévouement, de gentillesse, d’attention pour autrui, quel qu’il soit, du Colon le plus aisé au manœuvre le plus modeste. Il aurait pu soigner la bonne société Mostaganémoise, car il s’est installé à Mostaganem, son épouse préfère la ville,  mais non, là aussi, il soigne et soigne encore et toujours les plus pauvres.  

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Le Docteur Yvon LIGNEREUX  

 Photo JL

                               

 

Un jour, en plein cœur de la guerre d’Algérie, il traverse Tijditt, le quartier arabe populeux. Au volant de sa voiture il est arrêté comme c’est souvent le cas par un embouteillage. Mais là, il sent que l’atmosphère n’est pas habituelle, les arabes, autour de la voiture sont nerveux, certains ont le regard menaçant.

 

Yvon est armé, dans sa boîte à gants, un révolver le rassure habituellement quand il roule en pleine campagne, mais là, non, au contraire.

 

La rumeur grandit, les menaces contre le « roumi » se font plus précises : il n’en mène pas large quand tout à coup l’un de ceux qui l’entourent le reconnaît et s’écrie « c’est le toubib ! c’est le toubib des pauvres !».

 

La foule s’écarte

 

Il sourit, soulagé,  et avance lentement entre cette haie d’honneur qui s’est formée. Il est en nage !

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Yvon LIGNEREUX et son fils Jean (futur Médecin Anésthésiste)

Photo JL

 

 

Il faut bien dire d’ailleurs que dans sa famille de petits colons aisés on n’approuve pas toujours son choix professionnel.

 

Mais Yvon a un tel charisme que tout le monde se rend à l'évidence : il est fait pour ce métier, avec l'idée qu'il s'en fait et tel qu'il veut l'exercer.

C’est ainsi, qu’une fois par semaine, parfois davantage il vient soigner les Ouillissiens. Les arabes du Village, du Douar et des alentours l’attendent devant chez Roger. Il arrive le plus souvent à Moto, une PUCH dont tous les enfants du village reconnaissent le bruit, une sorte de son creux très caractéristique,  que laisse échapper le moteur deux temps.  

Un peu débordé par les patients qui se pressent à la porte du cabinet, Yvon a décidé de se faire aider, son choix se porte sur Hammou, le chauffeur de taxi.

 

Hammou organise la file d’attente, il apprend vite à poser un pansement, à désinfecter une plaie, à faire avaler quelques cachets, tout cela sous l’œil vigilant du Toubib, bien entendu.

 

Depuis quelques temps, les jours de présence du docteur, Hammou revêt une blouse blanche et une chéchia assortie, pure mesure d’hygiène, mais ces vêtements lui donnent fière allure.

 

Il les quitte aussitôt que son taxi nécessite sa présence.

 

Employé depuis quelques mois par Yvon, il entre maintenant tout à fait dans la peau de son personnage. Mon père, et d’autres, le taquinent et l’appellent malicieusement « docteur », il proteste mais sans trop de véhémence, je crois que cela lui fait finalement plutôt plaisir. D’ailleurs, il commence à donner quelques conseils, se risque à quelques diagnostics en l’absence du titulaire de la chaire du Doctorat Ouillissien, Yvon.  

Yvon écoute, rassure, panse les plaies, soigne des malades bruyants et indisciplinés, qui souvent le paient en nature : une douzaine d'oeufs, une poule qu'il est fier de ramener à la ville. Quand il est trop chargé, il s'en débarrasse avant son départ en en faisant don à ma mère, sans vouloir jamais être dédommagé pour cela.  

Car avant de partir, il fait toujours une halte chez nous, au Bar. Ma mère lui sert un grand verre d’orgeat bien frais l’été, un gros bol de bouillon KUB brûlant l’hiver, et il avale avec cela quelques aspirines : il a un mal de tête persistant qui nous inquiète souvent, mais lui se veut rassurant, trois aspirine et hop !

 

Un soir, il part, comme d’habitude sur sa moto, il fait bon, le soleil se couche lentement. Yvon s’élance sur la route qui longe la mer jusqu’à Mostaganem. Comme à l’habitude, il s’est arrêté à la maison un instant pour reprendre son souffle après une journée harassante.

 

Un signe de la main et il disparaît.

 

Chacun retourne à ses occupations. Un quart d’heure s’est à peine écoulé quand, branle bas de combat chez les militaires qui ont juste le temps de nous crier en passant à toute allure qu’un attentat à eu lieu sur la route de Mostaganem. Un silence de plomb s’abat alors sur le village, tous s’avancent et rivent leurs yeux sur cette route nationale numéro 11 maintenant complètement déserte.

 

Ma mère, morte d’inquiétude, monte sur les marches qui mènent à la salle à manger, pour pouvoir surveiller cette route qui reste désespérément muette.

 

Les minutes s’écoulent dans l’angoisse de l’incertitude, chacun calcule :

- il est parti depuis plus d'un quart d’heure, il doit être au pont (du Chélif)

- Pourvu qu’il ne lui soit rien arrivé !

 

Les minutes passent , aucune nouvelle. Monsieur JUAN essaie de téléphoner à Mostaganem, sans succès, la ligne est coupée!

 

Le temps s'écoule encore, on trouve qu'il va très vite, et, en même temps, on souhaiterait qu'il accélère, les minutes sont interminables :

- Déjà une heure qu’il est parti. Il devrait être arrivé.

Monsieur JUAN essaie à nouveau de joindre Mostaganem : rien !

- Déjà une heure !

 

L’émotion est à son comble, les militaires non plus ne sont toujours pas de retour, on se regarde en silence, on se soutient du regard, tous les sens sont en éveil. La route est silencieuse, déserte et muette.

 

Tout à coup, quelqu’un murmure :

- écoutez !

 

On tend l’oreille, un cri :

- j’entends une moto !

 

Mais oui ! c’est bien le bruit du moteur de la PUCH, si reconnaissable, c’est comme une mélodie qui monte progressivement et la moto apparaît, Yvon dessus,  au grand soulagement de tous ceux qui sont là. Mais son visage est grave, les traits sont tendus, il est visiblement épuisé, on s’agite alors autour de lui, on l’aide à descendre de moto, il entre dans le bar, on lui tend une chaise, il la refuse, il vient d’échapper à la mort !

 

Yvon, notre ami, notre cher toubib raconte :

Il raconte en phrases brèves. Il veut d’abord qu’on téléphone chez lui à son épouse, à Mostaganem, Monsieur JUAN s’en chargera, dès que le téléphone sera rétabli,  il  va la rassurer, lui dire surtout qu’il ne rentrera pas ce soir, nous le gardons à Ouillis.

 

Il raconte.

Un drame horrible vient de se dérouler, nous en connaîtrons les détails au retour des militaires..

Au lieu dit « Les deux mamelles » les fellaghas ont organisé un barrage et arrêté une voiture. Nous apprendrons, le lendemain matin qu’il s’agit du couple de gérants des établissements « Vidal et Manégat » à Mostaganem qui ont été tués sur place, leur voiture a été incendiée et, comble de l’horreur, leur petite fille, une gamine qui s’est enfuie a erré une partie de la nuit aux alentours du drame pour être retrouvée dans un fossé, hagarde, par les militaires, dans quel état ! on imagine.

 

Yvon qui arrive à moto au moment du drame est à quelques centaines de mètres du lieu de l’attentat. Il stoppe la moto, le moteur s’arrête. Il fait demi tour pour revenir sur Ouillis et donner l’alerte, il entend les coups de feu, il voit la fumée monter de la voiture incendiée.

 

Mais le moteur refuse de démarrer.

 

Il est sur cette petite route plate et sinueuse, à découvert, on pourrait l’apercevoir !

 

Il appuie nerveusement à plusieurs reprises sur la pédale de sa moto, mais rien ne vient, elle refuse obstinément de repartir. Il la pousse alors et se met à couvert, en contre bas.

Le moteur est noyé, incident fréquent sur ces moteurs deux temps. Il garde son sang froid et se met à démonter, dans cette atmosphère de guerre, la bougie, il se brûle, évidemment, il souffle dessus, l’essuie sur sa chemise et la remonte.

 

Et là, miracle, le moteur repart, il fonce à toute allure se souciant peu, cette fois qu’on l’ait vu ! Il l’a échappé belle.

 

Il n’en va pas de même pour ce malheureux couple que mon père, bourrelier, connaît bien car il se fournit en matière premières chez eux, cuir, basane, toile et divers accessoires. Le bonheur de retrouver Yvon est entaché par la tristesse de la disparition de ces braves gens dont l’histoire ne retiendra rien, sauf qu’ils se sont trouvés au mauvais endroit au mauvais moment.

 

La réalité s’impose tout-à-coup dans ce petit village relativement épargné, c’est la guerre ! c'est l'horreur ! La présence permanente des militaires dans le village nous a, paradoxalement, fait oublier la menace constante que les habitants des villes connaissent bien. 

 

Quarante ans après lorsque je reviens en touriste, empruntant la route qui est restée à peu près la même, à cet endroit, je revois encore les restes calcinés de cette voiture !

 

Le souvenir est pesant.

 

Comme à d’autres occasions dramatiques, l’assassinat de Coco LARRIBE, ou les cris que j’entends venant d’une Cave où l’armée torture un prisonnier,  j’ai envie de hurler avec l’abbé Pierre : « Pourquoi ? »

 

Comment la nature humaine peut-elle être capable d'engendrer  des êtres d'exception, un Yvon LIGNEREUX, un Abbé WEBER et dans le même temps produire de telles atrocités ? la guerre n’explique pas tout, mais elle permet, hélas, à la barbarie de s’exprimer. 

Merci Yvon, merci l’abbé, merci d’avoir montré à l’adolescent que j’étais, le chemin de l’humanité.

Parmi tous ceux qui accueillent avec soulagement  Yvon, à son retour, Hammou ZITOUNI est sûrement l'un des plus émus. Hammou aussi est un personnage.

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Mise à jour le :   29/02/2008