LE BAR DES SPORTS
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LE BAR DES SPORTS ET LA BOURRELLERIE

 

Mes parents, prévoyant la charge que représenterait ma future carrière intellectuelle, achètent à Madame LEYDET le café qu’elle tient, avec sa fille Nathalie. Au moment de signer l’accord définitif, Madame LEYDET s’adresse avec émotion à mon père, lui même très ému, «  avec Germain, ce sera le Bar des Sports ! », et ce fut le Bar des Sports.

 

Mon père est pressé par le déclin lent, mais inexorable, de la Bourrellerie, victime de la mécanisation de la viticulture. Bien sûr quelques Colons continuent à employer des chevaux, plus par amitié et reconnaissance que par souci de rentabilité. Le tracteur arrive à toute allure, et le déclin du Bourrelier fait le bonheur du mécanicien. François JUAN en profite, c’est notre voisin mécano, et ami de toujours.  

Je n’ai jamais vu mon père, même dans des moments d’inquiétude qui frôlaient le désespoir, manifester la moindre jalousie la moindre animosité envers le mécanicien, ni même envers le progrès que l’arrivée menaçante du tracteur provoquait.

Le bar allait lui permettre de survivre et surtout de garantir l’avenir de ses enfants. Mes parents devinrent donc tenanciers de bar, non par vocation, mais par nécessité économique !

 

Le Bar est l’un des centres de vie du village, on y va, bien sûr, pour étancher sa soif, mais aussi, et surtout pour se retrouver autour de centres d’intérêts communs. Au « Bar des Sports », tenus par Jeanne et Germain, le centre d’intérêt principal mais pas exclusif est le Sport, ou plutôt les Sports : foot-ball, cyclisme, boxe se classent, dans cet ordre, sans aucun doute, au hit parade.

 

 

 

 

 

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Le Bar des Sports

Photo retouchée RB

 

Il est bien placé, au bord de la rue principale, la salle est accueillante, le comptoir fait, sur mesure, par le menuisier du Village. Un énorme réfrigérateur, acheté à l’incontournable Monsieur TESSEIRE, engloutit des caisses entières de bières, limonade et autres Orangina. Quelques tables de bistrot en bois, quatre chaises par table que nous rangeons tous les soirs, pieds en l’air, pour pouvoir nettoyer le sol.

 

Le Bar, c’est le lieu de rassemblement. On vient de Bosquet, on fait une halte en "montant" de Mostaganem, pour déguster la Kémia que prépare ma mère. Des escargots que mon père achète par sacs entiers et laisse dégorger dans des caisses soigneusement entreposées dans l’atelier de bourrellerie qui jouxte le bar, des crêpes pour la chandeleur qu’elle cuit pendant un après-midi entier dans une petite poêle qui semble avoir été faite spécialement pour cet usage. Ma mère est une excellente cuisinière et pâtissière, elle a une qualité rare et donc précieuse: elle aime ce qu’elle fait. Active en permanence, elle cuisine, coud, tricote, elle sait tout faire dans une maison. Elle nous habille, il faut dire que, jeune fille, elle a travaillé quelque temps, avant son mariage, chez un tailleur réputé à Mostaganem, le tailleur GOVETTO. Elle accepte de temps en temps de faire un vêtement sur mesure, elle conserve précieusement des patrons découpés dans des journaux de mode ou de tricot.

 

Madame JONQUET lui a demandé de faire un pantalon pour le petit Jean-Jacques, elle se présente pour l’essayage. On va dans la cuisine, Jean-Jacques est debout sur la table. On lui met le nouveau pantalon :

- Rentre ton ventre ! demande sa mère.

- Mais, si je rentre mon ventre, le pantalon, il me tombe ! s’écrie-t-il, navré de voir la tête des deux femmes, qui partent d’un grand éclat de rire. Cette histoire est connue de tout le village dès le lendemain, et Jean-Jacques se fait apostropher :

- Alors Jean-Jacques, le pantalon, il te tombe plus ?

On rit d’un rien.

 

Ma mère innove, elle saisit un bout de toile blanche posée sur l’établi de mon père, elle trace, elle coupe et enfin elle coud avec sa machine Singer : et voilà une casquette ! le succès est fulgurant quelques jours après, tout le village est coiffé de la fameuse casquette blanche et la toile que mon père réservait à d’autres travaux est complètement épuisée.

 

Lui n’est pas en reste, il me fait mettre le pied droit sur un morceau de cuir épais, il trace, puis le gauche, il trace, il coupe, rive, coud, perce, et me voilà chaussé de superbes sandales en cuir, qui font l’admiration des parents de mes petits copains. Ils ne tardent pas à venir comme moi présenter leurs pieds pour obtenir les mêmes, sur mesure.

 

Il vous défait un matelas, carde la laine, change la toile et refait le tout, un superbe matelas tout neuf, avec un énorme bourrelet tout au tour, dans la journée. 

 

     0137 Document RB

 

Mais son vrai métier, c’est la Bourrellerie, qu’il a appris avec l’un des trois Bourreliers d’Aïn-Tédelès, le Père SAINT-YVES, dont il parle souvent et avec tant de respect, qu’enfant je suis très impressionné, croyant qu’il s’agit, en quelque sorte, du Saint Patron des Bourreliers !

 

Avant la crise, les deux postes de travail de l'atelier tournent à plein régime.

 

Enfant, je suis souvent sollicité pour l'aider à carder le crin dont il rembourre les colliers des chevaux. La cardeuse est un engin terrible, elle est posée sur le trottoir, à droite de la porte, le mouvement incessant de va et vient du chariot clouté déchire le crin, en extrait la poussière qui m'enveloppe et s'envole en nuages au dessus de la rue.

 

C'est toute la sueur du labeur des chevaux qui après avoir pénétré les larges coussins du collier, a séché et ainsi s'extrait pour redonner au crin une nouvelle jeunesse.

 

Le fil poissé, enroulé en forme de huit autour du pouce et de l'auriculaire est soigneusement rangé dans un tiroir de l'établi. La poisse, elle, me colle aux doigts que le fil a martyrisés.

 

Le métier est dur, mais, mon père l'exerce avec plaisir. Il aime à dire qu'il est son propre patron, et il apprécie cette illusion de liberté que lui donne le statut d'artisan.

 

Il travaille souvent en chantant, il a une belle voix, qu'on sollicite, à la fin du repas,  dans les fêtes familiales, les mariages, communions, baptêmes. C'est lui qui chante l'Ave Maria de Schubert, il le préfère à celui de Gounod, à la messe de minuit, pour Noël. Il a une belle voix de ténor, satinée sans excès, claire et puissante, mais pas trop, bref il chante et enchante son auditoire et fait la fierté de ma mère et de ses enfants.

 

La Bourrellerie a servi de lieu de vente de postes TSF, elle fait aussi office de salon de coiffure. Un ancien copain de régiment de mon père est coiffeur ambulant. PIERROT passe régulièrement, sa valise à la main, mon père lui abandonne l'un des deux postes de travail de l'atelier et là les hommes et enfants mâles du village défilent pendant toute une journée pour se faire couper les cheveux.

 

Quand PIERROT se fait trop attendre, nous allons chez un autre Pierrot, à Mostaganem, Pierrot REQUENA autre ami de jeunesse de mon père qui est patron d'un superbe salon pour Dames, au premier étage, et Messieurs au rez de chaussée.

A Ouillis, les figaro s'appellent Pierrot !

 

Quand René COTY est élu Président de la République, Pierrot REQUENA est très content, il pense que cela est bon pour la vente des parfums et autres produits cosmétiques du même nom. Les parfums COTY dureront plus longtemps que le Président qui remettra les clefs de l'Elysée au Général  DE GAULLE avant la fin de son mandat, mettant, par la même occasion, un terme définitif à la Quatrième République.

 

Le bar est ouvert toute la journée, tous les jours de l'année. Il sert de point de rencontre, de repos aux voyageurs en transit. Quand il fait trop chaud, on tire les volets, le soir, les quatre tubes fluorescents illuminent toute la rue et ridiculisent l'éclairage public. C'est là qu'aime à se reposer, devant un verre d'orgeat bien fraîche, avant de rentrer à Mostaganem, après une journée bien remplie, Yvon LIGNEREUX, l'enfant du village, docteur en médecine, autrement dit "Toubib".

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Mise à jour le :   29/02/2008