LE VILLAGE
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Photo satellite 

OUILLIS

Long : 0.269

Lat : 36.112

Alt : 145 m

 

 Document RB

 

OUILLIS EN ALGERIE, LA VIE D'UN PETIT VILLAGE

Ouillis tire son nom du Berbère, qui signifie « Hyène », ou plus exactement « la source de la hyène » (d’après Mauricette BENKEMOUN institutrice), ou encore « l’oasis de la Hyène » d’après Jocelyne JUAN.

Le Village forme à peu près un quadrilatère, autour de la Mairie, en son centre.

Il s’est construit de part et d’autre de la route nationale N°11 qui le traverse et qui fait la frayeur des parents. Automobiles et autres camions franchissent le village à vive allure, ne tenant aucun compte des panneaux limitant la vitesse et interdisant de doubler dans l’agglomération.

Côté Mostaganem, l’entrée dans le village est un enchantement, qui peut bien justifier le titre d'Oasis. Après une succession de virages depuis le phare du Cap Ivi, et la traversée d’une forêt de pins qui pullule de gibier, grives, lièvres et lapins, la route s’assagit, se redresse. Cette route, environ quatre kilomètres, la petite famille GALINDO la connaît bien, et pour cause, les enfants, l’empruntent, à pied, chaque jour pour venir à l’école. De temps en temps, un automobiliste charitable s’arrête et les conduit, mais nombreux sont ceux qui, comme le car, qui est payant, passent sans les voir. Le cantonnier vit, avec sa famille, sur place, le phare est entretenu par un gardien qui, lui aussi loge sur place.

Une centaine de mètres avant l’entrée proprement dite du village, qui est matérialisée par le petit pont au dessus de la rivière, sur la gauche , se trouve la ferme RICHERMO, qui abrite également les familles PUJOL et M’RHAÏNI.

Abdallâh M’RAÏNI a été militaire, « pendant seize ans », précise son fils Bendehiba qui poursuit «  il a travaillé chez RICHERMO, puis a été garde de nuit au village, il a tenu un café qui s’est transformé en magasin d’alimentation, par la suite, derrière la mairie. »

Le garde (de nuit) est un homme de confiance, c’est un grand gaillard qui en impose, il fait ses rondes, fusil à l’épaule, aucun malfaiteur n’ose approcher ! Ses enfants sont des enfants modèles, d’une gentillesse et d’une politesse exemplaire, ils suivent avec application les cours à l’école, l’un d’eux, Ousma, deviendra professeur de français et enseignera à Alger.

 En face de la ferme, dominant l’une des rives de la rivière, on aménage sommairement un terrain de volley, sport roi à Ouillis vers la fin des années cinquante et jusqu’en soixante deux. L’équipe de Ouillis se taille une solide réputation grâce aux jeunes du village, les RICHERMO, bien sûr, et GUILHON, SEVA ...

C’est un peu la revanche sportive de Ouillis qui n’a jamais pu briller dans le sport le plus populaire, le football : il est en effet plus facile de se doter d’un terrain de volley que d’un terrain de football ! et puis le voisin, Bosquet en a fait sa spécialité, un club a été créé, l’O.C.B Olympique Club de Bosquet, que certains appellent malicieusement  Ouillis – Cassaigne – Bosquet parce qu’il rassemble les joueurs de ces trois entités.

Bosquet dispose d’un stade où, le dimanche, la population de ces trois villages vibre à l’unisson. Le sommet de la saison est le derby qui oppose l'OCB à l'équipe d'Aïn Tédelès et qui donne lieu à de belles empoignades entre supporters. Chacun rêve d'endosser un jour le maillot de l'OCB et de jouer dans cette équipe entraînée par un ancien joueur professionnel Espagnol qu'on a fait venir tout exprès, en lui faisant de grandes facilités d'installation. Ses jongleries avec un ballon nous fascinent. En dehors de sa fonction d'entraîneur qui en fait une célébrité locale, il est peintre en bâtiment. C'est lui qui réalisera un pur chef d'œuvre de décoration: le comptoir du Bar. Il manie les vernis, les peintures au sac et à l'éponge avec une dextérité qui lui ouvre immédiatement une clientèle importante qui, en plus, a conscience de participer aux succès sportifs de notre équipe phare.

Sous le pont, la rivière alimente en contrebas un abreuvoir qui déborde en permanence, près duquel nous allons cueillir du cresson. L'eau coule en abondance, une eau claire et fraîche que nous envient tous les villages alentour, elle formera, en aval du village, une superbe cascade avant d'aller se jeter dans la mer, près du cabanon Richermo.

Nous entrons dans le village proprement dit.

Sur la gauche un petit terrain de boules dominé par un palmier immense dans lequel nichent des centaines d'oiseaux bruyants, un petit jardin public peu fréquenté. A droite un immense jardin potager appartenant à Yvou ROUVE, devant l'entrée deux superbes mûriers aux fruits succulents et qui fournissent les feuilles nécessaires aux élevages de vers à soie qu'entretiennent les enfants.

On arrive chez JUAN, le mécanicien, une grande cour abrite quelques carcasses de voitures et un atelier ou s'affaire François JUAN qui n'hésite pas, de temps en temps, quand l'activité se ralentit, à fermer l'atelier pour s'adonner à sa passion : la pêche. Il passe d'ailleurs des nuits entières sur la plage ou les rochers auprès de deux ou trois "lancers" des cannes à pêche de gros modèle munies d'un moulinet qui lui servent à ramener les daurades ou les sars gourmands des appâts qu'il leur a soigneusement préparé, accompagné d'une eau purulente, à l'odeur insupportable : le "brometch" . Il a même mis au point un système lumineux d'alerte, qu'il fixe sur le montant du lancer et qui le prévient dès le premier frémissement provoqué par la tension du fil. Il dort à même le sol, et rentre le matin, fatigué et heureux, en exhibant ses prises avec fierté.

Une ruelle part sur la gauche, longe un mur de pierre et descend très fort vers la forge de Lucien AGULLO, en passant devant chez PANISSE, chez qui nous allons, chaque soir acheter le lait de vache encore tiède que la Grand'mère mesure avec beaucoup de précision et verse dans le "pot au lait" que je lui tend, en échange d'une belle pièce de cent sous.

La superbe villa MENDOZA fait le coin de la rue qui remonte de l’abreuvoir, passe devant chez Nini SEVA pour filer en direction de l’arrière de la Mairie.

La rue, parallèle à la rue principale vous mène jusqu’à la Mairie, en passant devant les caves et maisons attenantes d’Yvou ROUVE et René DELHOMME. Tout près une petite échoppe que les garçons fréquentent assidûment, tenue par celui qu’on a baptisé « le Cycliste », et qui nous fournit en pièces détachées et accessoires de bicyclettes.

Sur la rue principale, nous sommes maintenant devant la Bourrellerie et le "Bar des Sports" de Jeanne et Germain BOUCABELLE, mes parents, locataires de Victor BRETON, qui occupe avec Sylvia, son épouse et ses deux filles Nelly et Marlaine, le premier étage.

Victor est le seul de la famille BRETON qui n'a pas de terre, il fait de la mécanique et du transport avec un vieux camion qui nécessite un entretien constant. Tout petit, mon grand plaisir est d'observer les mécanos s'affairer autour d'un moteur : après la toilette, ma mère m'installe dans un petit fauteuil dans le garage et là, j'observe très sagement Victor et son équipe qui se sont habitués à ma présence. Leur habileté me fascine et je suis toujours ravi d'entendre le démarrage du moteur qui couronne leurs efforts. Victor fait ronfler ce moteur qui laisse échapper un nuage de fumée et lui fait subir encore quelques réglages, "à l'oreille", car il n'y a pas encore d'appareil électronique pour les assurer. J’en viens, quelques années plus tard, à pouvoir identifier chaque véhicule du village, au bruit de son moteur ou de son Klaxon. Le bruit de moteur que je préfère est indiscutablement celui de la Traction Citroën 15 CV de Monsieur PANISSE. Je l’entend sortir la voiture du garage, l’avancer le long du mur et laisser, un instant, le moteur tourner avant de démarrer lentement.

Le mur de façade du Bar se prolonge, on passe devant l'immense cave BELOT, le plus gros colon du village, mais qu'on ne voit jamais, sa propriété à Ouillis est en gérance, et on arrive au centre du Village.

La Mairie domine une très jolie place, avec, en son centre le « Jet d’eau » sensé rafraîchir l’atmosphère et signe de la richesse en eau du village.

En face de la mairie, une rue qui monte vers l’Eglise. Des Caves, à droite, et, à gauche la Boulangerie, épicerie, café GALY, puis, le Café maure. L’école fait ensuite coin et occupe tout le quartier

"Dans la cour trône un gros citronnier, planté par le père de Madame FAURE, épouse du « Maire » et dont les parents, Instituteurs ont occupé les lieux. " se souvient Madame BENKEMOUN. Derrière l'école, le "Champ de boules" sur lequel se déroulaient autrefois des parties de "longue" mais qui a été supplanté par l'autre terrain, à l'entrée du village, plus adapté à une pratique quotidienne de la pétanque.

 L'église se dresse entre la rue qui file vers Aïn Tédelès et longe le "terrain de boules" et celle qui monte vers le "Bordj", sorte de grosse bâtisse avec plusieurs corps de ferme qui entourent une petite cour, où habite le Garde Champêtre. Le "bordj" en Algérie est une sorte de petit fortin, fermé par une énorme porte en bois, dans lequel la population vient se réfugier en cas d'arrivée de pillards ou de troupes hostiles. Mais à Ouillis, c'est simplement la demeure de Monsieur SERVERO, représentant de la loi. Mauricette BENKEMOUN, épouse de René qui assure, au début de leur installation à Ouillis, une classe abritée au Bordj se souvient : " Madame SERVERO entretenait un élevage de dindes, elle surveillait attentivement l'éclosion des "poussins" et les nourrissait ensuite (c'était son secret) avec une pâtée d'orties, évitant ainsi la mortalité habituelle, chez ses petites bêtes. Le Cantonnier, qui assurait le balayage de la cour, avait une charrette attelée à un âne bizarre, trapu et blanc. A la saison des figues, il s'arrêtait longuement sous le figuier pour se régaler"

Le Garde Champêtre porte un uniforme et un Képi qui le font ressembler à un gendarme, mais, il a un attribut que les gendarmes n'ont pas : le tambour ! il s'en sert pour faire les "avis à la population" : le tambour roule un instant, la population se rassemble, Monsieur SERVERO déplie soigneusement un papier qu'il lit à haute et intelligible voix, après avoir annoncé le rituel "Avis à la population", il termine par un nouveau, mais bref, roulement et s'en va un peu plus loin, suivi par une horde d'enfants. Monsieur SERVERO est un brave homme que les enfants cependant craignent car il représente l'autorité. Il vaut mieux vérifier qu'il n'est pas dans les parages avant de commettre quelque bêtise ! En effet, le Garde Champêtre va souvent au delà de la simple application de la loi. Sur demande des parents, il veille sur les enfants du village, il surveille en permanence cette grande cour de récréation qu'est le village.

Il a un fils, Guy que tout le monde appelle Guinou qui s'est forgé une solide réputation d'adresse: Guinou a un oeil de lynx , à la pétanque, c'est un tireur impitoyable, il tire aussi à la carabine ou au fusil et manque rarement sa cible. Il conduit aussi bien la grosse Renault "Prairie" avec laquelle il descend livrer  le pain à la plage, que la Simca "Aronde", avec une telle maîtrise et dextérité que malgré l'allure un peu vive à laquelle il roule, on se sent avec lui en parfaite sécurité. Il travaille chez GALY, l'autre Bar du village, qui fait aussi épicerie, en plein centre, tout près de la Mairie, là où la route nationale que nous avons laissé pour monter vers l'église, nous mène vers Bosquet.

Tout à côté de l’Eglise, le Temple, qui permet à quelques adeptes de la réforme d’assister aux offices du Pasteur, car Ouillis est un des rares villages à posséder un Temple et parmi ses villageois, un Pasteur.

Tout près du temple, Antoine SEVA loge sa famille et, à peine plus loin se trouve l’Epicerie de Madame DURAND. Je devrais d’ailleurs dire, et ses filles, car l’épicerie, probablement la plus importante du village, est tenue par les trois femmes, Madame DURAND a deux filles, Arlette et Valmonde, célibataires endurcies qui assurent un service épicier continu. Le Dimanche à la sortie de la messe, c’est le rendez-vous des enfants qui viennent s’approvisionner en bonbons, caramels, réglisses et autres friandises. Les parents nous ont confié deux pièces de monnaie, l’une pour la quête et l’autre pour les bonbons. Chacun de nous a hâte de se débarrasser de ce pécule, avec regret dans le premier cas, avec enthousiasme dans le second.

Nous redescendons la rue de l’Eglise, jusqu’à la Mairie, à droite nous revoici sur la route nationale en direction de Bosquet.

Devant l'épicerie de DJELLOUL, en face de chez DURIEU, un enfant tourne avec nonchalance la manivelle d'un gros cylindre perforé dans lequel grillent les cacahuètes que l'on servira tout à l'heure avec l'anisette, en guise de Kémia.

Plus loin, on dépasse les deux énormes villas, RIBIERE à gauche et GUILHON à droite pour arriver à la Poste qui marque ainsi la sortie du village.

La villa GUILHON est une des dernières bâties : elle possède même un chauffage central.

Edgar est le plus jeune des enfants, il nous invite quelque fois à venir écouter quelques disques, adolescent, ses parents lui laisserons disposer d’une pièce donnant sur la rue, qui va très vite devenir notre Permanence. Une fois équipée d’un tourne disque Teppaz, nous nous retrouvons pour de fréquentes surprises party. Les parents ferment les yeux, au moins sont-ils rassurés, car nous restons au village.

Enfants, nous chassons dans les alentours, lance pierre « estaque », pièges carabine à air comprimé etc., un jour Edgar à une idée, pour compléter notre arsenal : nous allons faire de la glue ! On se procure facilement quelques déchets de pneumatiques, ses parents sont partis pour la journée à Mostaganem. La cuisine de Madame GUILHON est rutilante, nous n’avons pas de mal a trouver l’ustensile approprié, une belle casserole, dans laquelle les débris de caoutchouc fondent en une masse sombre, poisseuse et qui dégage une forte odeur. Il faut vite arrêter le feu car la fumée commence à monter ! mais le résultat semble probant, on vide le caoutchouc fondu dans une boite de conserve. Il ne reste plus qu’à nettoyer la casserole et à chasser l’odeur de caoutchouc brûlé qui maintenant a envahi toute la maison. On ouvre toutes les fenêtres. La casserole a refroidi et la glue, qui semble d’excellente qualité adhère parfaitement au fond et aux parois. Impossible de l’enlever. Edgar commence à paniquer, car il connaît la sévérité de sa mère et mesure l’importance des dégâts. On essaye plusieurs abrasifs, jusqu'à la paille de verre qui en même temps qu’elle enlève la glue, laisse de belles stries sur la paroi de la casserole. Le drame est inévitable, il ne nous reste plus qu’à abandonner notre pauvre ami et rentrer chez nous tandis qu’il attendra avec l’angoisse que l’on devine, le retour de ses parents, à qui, nous en avons convenu, il faudra dire, sans détour la vérité.

Le lendemain, nous tentons quelque approche, pour savoir comment s’est dénoué le drame auquel nous sommes sûr Edgar a été confronté. La réponse est cinglante, quand l’un de nous l’appelle, c’est sa mère qui apparaît : « il est puni ! »

Quelques jours après, Edgar nous rejoint, pour nous apprendre que sa mère a confisqué la glue et que de toute façons celle-ci s’était durcie et était devenue inutilisable, à moins de la réchauffer à nouveau, mais là, personne ne s’est porté volontaire !

La route nationale, toute droite vous conduit à Bosquet, à moins que vous ne préfériez prendre tout de suite à gauche vers la plage.

La plage de Ouillis est à cinq kilomètres du village. La route qui y conduit est étroite et sinueuse, car la dénivellation est importante. La descente à vélo se fait avec beaucoup de facilité, au retour on mettra le vélo sur un camion. L'un des virages jouit d'une réputation particulière, c'est le "Fer à cheval" qui, comme son nom l'indique, est très serré. On ne résiste pas au plaisir d'un dérapage contrôlé sur l'asphalte recouvert de gravillons.

La plage est très étendue, c'est une plage de sable fin, mais elle bénéficie d'une pointe rocheuse qui rompt sa monotonie et creuse une cuvette de faible profondeur où tous les enfants du village aiment à s'ébattre. Les rochers sont garnis de moules, bigorneaux et arapêdes, à peu de profondeur on cueille les oursins. Le poisson qui prolifère est pêché ou chassé au harpon.

A Ouillis, on n'apprend pas à nager, on nage naturellement, comme on marche.

Un énorme veau marin, sorte de dauphin sympathique a élu domicile non loin de la plage, on le voit souvent, au coucher du soleil à la surface de l'eau calme quand le vent d'ouest nous épargne. Le coucher de soleil sur la plage de Ouillis est une merveille: explosion de couleurs qui, lentement se diluent dans la mer, tandis que l'obscurité gagne insensiblement sur la lumière.

Tout au long de la plage, chaque colon a son cabanon. Le plus beau, le premier qui se présente est celui d'Yvon ROUVE construit en dur, sur deux plans avec une petite esplanade. La générosité du propriétaire fait que ce cabanon est un peu celui de tout le monde, le premier arrivé s' installe au rez de chaussée, aucune porte n'est fermée à clé.

Le cabanon est une résidence secondaire, on y vient pour passer la journée, mais, chaque année, lorsque arrivent les chaleurs, on s'y installe en permanence. C'est la transhumance, le village se vide, la plage se remplit. La vie se transporte, pour quelques semaines, on vit au frais. Cette commodité est réservée à ceux qui en ont les moyens, les Colons. Ceux qui, comme moi, n'ont pas la chance d'avoir ce pied à terre, les rejoignent en fin d'après-midi ou le Dimanche. Les commerçants suivent le mouvement et viennent régulièrement approvisionner les cabanons.

Monsieur ALBA est handicapé de naissance, il est fort comme un turc, mais a un bras atrophié. Ce handicap ne l'empêche pas d'être très habile, mais il rejaillit sur son caractère : rien ne le prédispose à tenir un commerce, et pourtant, il va installer et développer le premier service saisonnier sur la plage. Grâce à la gentillesse d'Yvon ROUVE, il commence par s'installer au rez-de-chaussée du cabanon et propose aux baigneurs affamés des cornets de frites qu'il faut vite accompagner d'une bière ou d'un Orangina. Le succès adoucit son caractère, dépasse ses espérances et très vite rend la première implantation trop exiguë. Monsieur ALBA fait donc installer une Buvette, tout près du Château d'eau, entre la route et la dune de sable et la baptise "Les flots bleus". 

Antoine SEVA, entrepreneur de Maçonnerie a acheté une camionnette Citroën du dernier modèle. Chaque fois qu'il le peut, il emmène tout son petit monde, la benne est spacieuse. Le soir il remonte tous ceux qui, par des moyens divers ont réussi à rejoindre la plage pendant la journée. On l'attend au pied du Château d'eau, il s'arrête et charge des voyageurs bronzés dans un joyeux tintamarre d'apostrophes, de rires et de cris d'enfants. Et puis, c'est la montée, lente, car la camionnette est chargée et Monsieur SEVA est prudent, les passagers se sont assis sur le plancher de la benne et entonnent en coeur les chansons du répertoire, au hit parade, c'est, sans contestation "Etoile des neiges" qui l'emporte.

La camionnette et son chargement humain, précédée par les harmonies de la chorale improvisée, arrive au village. Elle déverse alors devant la Mairie, ses passagers dans l'ambiance retrouvée du départ. Chacun se précipite pour enlever immédiatement, avec un bout de chiffon trempé dans du pétrole, les traces de goudrons ramenés de la plage, vestiges du dégazage de navires peu scrupuleux qui croisent au large de nos côtes.

Il fait bon vivre dans ce petit village, au rythme des saisons qui passent et d’une activité économique presque exclusive : la vigne.

Toute l’activité s’organise, en effet autour de la vigne, du raisin, taille, entretien, jusqu’aux vendanges qui créent une effervescence sans pareil.

« Les vignobles, le vin sont la principale ressource agricole de Ouillis. Les vignobles de plaine du département d'Oran (partie des arrondissements d'Oran, de Mostaganem et de Sidi-Bel-Abbès) donnent des vins à haute teneur en alcool (12° à 13° et plus), avec des acidités totales de 2,8 à 3,2 et une assez forte coloration pour les vins rouges. Ces vins sont corsés, bien charpentés, fruités, parfois un peu astringents. Ils sont appréciés pour les coupages avec les vins de la Métropole à faible degré et forte acidité fixe. Leur production est importante… et certains sont classés dans la catégorie des vins délimités de qualité supérieure (V.D.Q.S.), tels que ceux des zones d'Oued-Imbert et de Mostaganem-Dahra » (Extrait d’une Brochure : Les grands secteurs de l'Agriculture algérienne édité par le Gouvernement Général (1953-54)

Les vendanges s'effectuent au mois d'Août. Sous un soleil écrasant, le raisin est cueilli, transporté, écrasé, séparé du mout et stocké dans les cuves des nombreuses caves du village. Chaque Colon a sa cave. Le vin qui coulera bientôt à flots sera exporté en grande quantité vers la métropole, via le port de Mostaganem, "pour relever les vins de France" fait-on remarque avec fierté.

La plupart des Ouillissiens n’ont jamais mis les pieds sur cette terre de France dont ils se sentent si proches, parce qu’ils en connaissent l’histoire et la géographie.

Pendant la seconde guerre mondiale, les hommes du village sont mobilisés. Si ce n’était l’absence d’êtres chers, puis, beaucoup plus tard, le passage des américains, la guerre paraît lointaine et semble ne pas concerner Ouillis, mais, un dramatique accident touche la commune.

Le Service Historique de l'Armée de l'Air rapporte : « PIERRE LE GLOAN Né à Plouguernével, près de Guingamp, le 6 Janvier 1913, est pilote militaire : le 11 Septembre 1943, alors qu'il était parti effectuer une mission de protection d'un convoi allié en Méditerranée à bord de son P-39 Airacobra, il prévint par radio qu'il avait un ennui de moteur et qu'il allait tenter de ramener son appareil. Malheureusement, il n'y parvint pas, percuta le sol dans la région d'Ouillis et périt carbonisé. » cet accident rappelle au village, s’il en était besoin, avec la mobilisation de ses hommes valides que la France est en guerre. Il n’y a pas de monument aux morts à Ouillis, une simple plaque, à l’intérieur de l’Eglise rend hommage à ceux de ses enfants morts pendant les deux guerres mondiales.

En 1950, c’est la révolution, révolution industrielle, s’entend. Le village va être électrifié. La compagnie qui ne s’appelle pas encore EDF, installe des pylônes et construit sur le côté de l’église et pas très loin de chez le garde-champêtre, un transformateur tout en béton, celui-là même qui sera visé lors du déclenchement des hostilités en 1954, dans la nuit de Toussaint. Le Chef du commando FLN Abdelmalek Ramdane, mis en fuite par Monsieur SERVERO, le Garde Champêtre, sera arrêté quelques semaines plus tard, et exécuté. Il donnera son nom au Village actuel.

L’électricité arrive, et, pas n’importe laquelle, s’il vous plait, ce sera du 220 volts alors que certains quartiers de Mostaganem sont encore alimentés en 110v. Chacun pèse et soupèse l’investissement domestique qui va être à réaliser : éclairage, prises d’alimentation car on pressent bien que le progrès et le confort arrivent à grands pas.

La modernité frappe à notre porte. Déjà, il y a peu, au retour de la foire d’Oran, événement d’importance, mon père a ramené un ustensile imposant que s’arrachent les ménagères urbaines : une cocotte minute.

Alors pensez-donc, l’électricité. Mes parents, qui connaissent bien le sens de l’effort, l’exigence du travail et les attraits des aides que peuvent apporter les évolutions techniques font réaliser une installation complète.

Ma mère a un frère, Joseph, qu’on appelle « Zézé », et un filleul, Joseph aussi qui a donc hérité du même diminutif, mais pour les distingué, on a décidé de l’appeler le « Petit Zézé ». Le Petit Zézé, mesure 1.85 mètre et pèse quatre vingt dix kilos ! il est électricien à Mostaganem, électricien : un métier d’avenir. C’est lui qui vient réaliser l’installation complète à la maison.

L’opinion publique ouillissienne aime à se partager sur les grands débats de société, les discussions sont vives et animent les fins de parties de boules quand tout le monde se retrouve au « Bar des Sports » : une moitié du village préfère Tino Rossi à Luis Mariano, Gloria Lasso à la Jeune Dalida, Fausto Copi à Louison Bobet, Le Stade de Reims au Réal de Madrid, etc., etc.

En cette année d’électrification un nouveau débat enflammé se fait jour, l’atmosphère est « électrique », le jeu de mot est facile, très vite le village se partage entre les partisans de la « baguette » et ceux du « tube ».

Il s’agit de l’installation qui utilise pour le passages fils, des baguettes rainurées en bois ou bien du tube légèrement galvanisé. La baguette est plus esthétique, le tube plus solide. Pour nous, dans l’appartement, l’atelier et le bar, se sera du tube car n’étant pas propriétaire des locaux que nous occupons, mon père et le petit Zézé pensent que si nous déménageons, l’installation sera plus facile à démonter et à emporter !

Se tenant volontairement à l’écart de ce débat, quelques uns font de la résistance, ils ont décidé de ne pas installer l’électricité chez eux : la cuisinière fonctionne très bien au bois et le frigo au pétrole. Quant à la lumière, les bougies et les lampes au carbure ou au pétrole sont bien suffisantes, ils ne veulent pas prendre le risque de s’aveugler à la lumière des ampoules de 25 ou même 50 watts ! on ne dit, d’ailleurs pas « watt », mais 25 bougies. Ils toisent, avec une certaine condescendance, pour ne pas dire un certain mépris, ceux qui cèdent à la pression de la modernité.

Avec l’électricité arrive une autre innovation : la TSF, autrement dit la radio. Un ami mostaganémois de mon père tient un magasin d’appareils électriques : il est installé juste en face du coiffeur REQUENA. Mon père et lui conviennent d’une collaboration immédiate, mais limitée : le commerçant laissera en dépôt un poste de radio à la Bourrellerie, mon père prendra les commandes et les communiquera à Monsieur TESSEIRE, c’est son nom. En contre-partie il pourra utiliser à son gré le poste de démonstration qui deviendra sa propriété quand quelques exemplaires auront été vendus. Cet accord commercial est oral, scellé devant une anisette par une franche poignée de mains. C’est dit !

Les postes se vendent très bien et nous devenons donc rapidement propriétaires d’un splendide poste, avec un grand cadran sur lequel les stations du monde entier sont inscrites, sans jamais pouvoir être captées, bien entendu.

L’atelier de mon père devient le rendez-vous des auditeurs attirés par les émissions radiophoniques les plus diverses, le sport, bien sûr, avec les grands matchs de football, la boxe et les exploits de Marcel CERDAN, le radio-crochet et surtout les dédicaces.

 «Et maintenant voici interprété par les Sœurs Etienne, la chanson du bonheur ..  Pour Marinette de la part de son mari et de ses enfants qui l’aiment très fort », c’est la Fête des mères : le speaker égrène les dédicaces pendant de longues minutes, puis lance une chanson que l’on écoute religieusement, surtout si on s’est reconnu !

Et puis, il y a les matchs de football ou le reporter indique, pour préciser l’endroit où se déroule l’action « coup-franc pour les Marseillais, en bas et à droite de votre cadran », chacun fixe du regard le coin du cadran en imaginant y voir le joueur tout de blanc vêtu décocher un « canon » en direction du but adverse.

Le dimanche soir, l’oreille collée au haut parleur, mon père répète à haute voix les résultats du championnat d’Algérie, que je note sur une feuille de papier et m’empresse d’aller écrire au tableau qu’on a installé au Bar, le lendemain matin, à la première heure, les « sportifs » viennent les découvrir. Le SCBA, Sporting Club de Bel Abbès caracole en tête du championnat de Football, l’ISM, Idéal Sportif de Mostaganem nous réjouit quand il gagne et fait notre désespoir chaque fois qu’il est battu, aussi le village se partage-t-il entre supporters de « Bel Abbès » et ceux de « Mosta ». Les discussions sont vives, chacun à son tour refait l’équipe idéale, mais on se retrouve unis et solidaires dès que l’équipe de France des KOPA, FONTAINE etc. affronte une équipe étrangère. La redoutable équipe de Belgique nous fait trembler, les victoires de l'équipe de France, très appréciées parce que rares, nous comblent de joie, ses défaites nous font douter de l'impartialité des arbitres ou pester contre les conditions atmosphériques, la chance,  les poteaux ou autres éléments manifestement défavorables à nos joueurs.

Quand Marcel CERDAN boxe en Amérique et devient champion du monde, il est minuit passé et nous sommes, l’oreille tendue, devant le poste de radio, suspendus au fil de la voix du commentateur, noyée, de temps à autre, par les hurlements des spectateurs et les parasites que ne manque pas de retransmettre également le poste de Monsieur TESSEIRE. Le lendemain matin, c'est la fête au village, Marcel CERDAN a battu l'américain.

Quelque temps après ce formidable évènement, lorsque la nouvelle de sa disparition tombe, c’est la stupéfaction ! tous les ouillissiens viennent de perdre un ami, un frère, un deuil municipal spontané s’installe. Le dimanche, le village est désert,  l’église est pleine à craquer pour entendre le curé rendre hommage à l’enfant de cette terre d’Afrique du Nord.

Car le curé de Ouillis n'est pas un curé ordinaire ...

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Mise à jour le :   29/02/2008