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0022 La famille LARRIBE Coco, Marinette, Alain et Daniel "Nanou"
Il y a des gens qui, naturellement attirent les enfants, par leur bonne humeur, leur capacité à les amuser, à plaisanter, les écouter et communiquer avec eux. Ils savent ne pas se prendre au sérieux, il connaissent les centres d’intérêt des enfants et les suivent dans leur adolescence. Coco LARRIBE est de ceux là. Les enfants l’adorent, les jeunes du village l’admirent. Coco, personne ne sait d’où est tiré ce diminutif (je crois qu’il s’appelle Gustave !) est marié à Marinette VERDU, une jolie et fine petite brunette. Lui est grand, costaud, c’est un géant pour nos petites tailles d’enfants. Ils ont deux fils, Alain et Daniel, dit Nanou. Coco, est forgeron et maréchal ferrant. La forge est tout près du Bordj, en contrebas, sur une petite ruelle qui descend vers le jardin d’Yvou ROUVE. René SEVA se souvient « j'allais tous les jeudis à la forge où je faisais office de manœuvre : tirer le gros soufflet pour activer le feu, taper avec une masse sur un fer rougi que Coco posait sur l'enclume pour le rendre plat ». Le marteau frappe et rebondit en saccade dans une harmonie de sons et d’étincelles qui fascinent les jeunes spectateurs massés à l’extérieur, devant la porte de la forge. Pour Alain RICHERMO, aussi, la forge se trouve sur le chemin du retour de l’école, il quitte la classe de Monsieur OBADIA, installée dans le bordj et rentre lentement chez lui, il fait étape, attiré par le bruit et les éclats de rires qui ponctuent les plaisanteries que Coco échange avec son beau-frère Norbert, dit Bébert, VERDU. Bébert est menuisier, il était installé tout près de l’épicerie de Madame DURAND, à deux pas du Temple, il s’associe à Coco et vient travailler avec lui dans cet atelier qui alliera donc le travail du fer et du bois. Coco nous apparaît comme un colosse. Torse nu, il actionne le soufflet, retire le fer chauffé à blanc, le façonne et le trempe à nouveau dans la masse de « coke » brûlante. Au fond de l’atelier, Bébert, lance d’une main assurée son rabot et s’enfonce dans les copeaux tombés à terre. L’odeur du bois raboté, subtile, légère nous parvient entre deux bouffées plus rudes que lâche le charbon brûlant sous l’effet du soufflet de forge. Les deux beaux frères échangent à grands éclats de voix, en permanence, des plaisanteries qui amusent les enfants spectateurs, car on peut bien dire que Coco et Bébert se donnent en spectacle : dans la lumière et le feu de l’atelier sombre et profond, des gerbes d’étincelles jaillissent. C’est un feu d’artifice qui les entoure, les enveloppe. Tandis que le soufflet expire bruyamment, Coco, le torse luisant de sueur tient le public en haleine et masque la souffrance que lui arrachent les efforts de la forge. Il pratique son dur métier avec panache et dérision, tout à la fois artiste et artisan. L’odeur de corne brûlée envahit tout le quartier, elle descend la ruelle et file le long du mur, elle nous attire, un cheval est à ferrer : René SEVA aide le Maréchal ferrant, il maintient fermement la patte du cheval pour que Coco égalise la corne et pose le fer rouge sur le sabot qui crépite. Il l’ajuste et le fixe solidement par quelques clous forgés. Une fumée acre se dégage, le cheval reste immobile, insensible, comme anesthésié. Les enfants sont émerveillés, le fer rouge ne lui a même pas fait mal ! il repose sa patte à terre et lâche un hennissement de satisfaction. Le numéro d’artistes est terminé. On voudrait crier « bravo », applaudir à tout rompre, on imagine Coco et Bébert saluant la foule installée sur le talus qui fait face à l’atelier comme sur des gradins de théâtre, le spectacle soulève l’enthousiasme. Rien n’est plus beau en cet instant que le mariage du fer et du feu, de l’animal et du minéral, concélébré par nos deux compères. A Ouillis, les enfants ne seront pas pompier ou aviateur, non, ils seront un jour forgeron ! La vie cependant vous ramène tout à coup à de dures réalités, un jeudi matin, c’est l’accident stupide. Le fils aîné de Coco, Alain, se tient sur le côté de la forge et observe les efforts de son père, quand tout à coup, une plaque de métal se détache de son support mural, juste au dessus de lui. Alain fait un pas de côté, il se protège de la main, mais la tôle tranchante s’abat sur lui et lui sectionne net le petit doigt de la main droite. Moment terrible d’inattention, qui vous marque pour la vie, vous rappelle le danger du métier. Après la souffrance physique, Alain se remet rapidement grâce à l’affection qui l’entoure. Pendant longtemps, le doigt qui est resté dans la forge et la main ainsi amputée lui attireront la compassion des adultes et l’admiration des enfants. Coco et Bébert se complètent quand une roue de charrette est à cercler. Bébert a préparé avec précision le sillon sur lequel va reposer le bandage de fer que Coco travaille à la forge. Au milieu de l’atelier, une grosse machine sert à creuser, à perforer, à trouer le fer et le bois. On l’actionne à la manivelle qui entraîne un énorme volant de fonte qui tourne au dessus des têtes des deux amis qui s’affairent. Il faut en un très bref laps de temps ajuster, au millimètre près, le cerceau métallique brûlant, puis le refroidir rapidement pour qu’il enserre la roue de bois en lui conférant rigidité et solidité. Tout près du Bordj, se trouve un bassin qui, sans la vase qui se dépose au fond ferait une honorable petite piscine. L’eau y court en continu un peu fraîche mais très claire. Bébert et Coco vont s’y tremper et y barbotent comme des gamins quand les rayons du soleil viennent dorer les corps déjà surchauffés par le feu de la forge. Pendant quelques années, le forgeron, maréchal ferrant et le menuisier vont déborder d’activité, au point qu’ils embauchent un ouvrier. C’est Nimo, la vedette Ouillissienne de l’équipe de football, l’OCB, qui vient travailler à la forge. Mais après ces années de labeur acharné, l’activité va peu à peu se ralentir. L’arrivée progressive du tracteur dans les exploitations viticoles, remplace les chevaux attelés aux charrues. Le bourrelier n’est pas le seul à être affecté par la mécanisation qui se développe. Bien sûr, il reste bien quelque soc à réparer, quelque pièce accessoire à forger, mais, la présence de deux forgerons au village, un second forgeron, Lucien AGULLO est installé à l’autre extrémité, s’avère très vite être largement au-delà des besoins des Colons. Coco jette l’éponge le premier, il s’engage dans l’armée où il reprend son grade de sous-officier et s’installe à Mostaganem. Nous sommes alors en plein conflit. L’inexorable engrenage de la violence est enclenché. Le chapitre du bonheur est clos. S’ouvre maintenant celui du destin dramatique de Coco qui va se dérouler en deux temps : Il est d’abord sérieusement blessé, il perd un œil dans une opération militaire. Quelque temps après, dans une ruelle qui le conduit à son domicile, il est assassiné. Tout le village est bouleversé par l’horreur de ce drame et conduit son forgeron, son enfant, de la petite église jusqu’au cimetière. Les plus désemparés sont les villageois arabes car Coco était aimé de tous. Le soleil, ce jour là, est un soleil de forge, il accompagne Coco tout au long de son dernier chemin d'une chaleur de plomb dans le silence et les sanglots de la détresse. Ouillis, relativement épargné par les atrocités du conflit armé, depuis le premier jour, est cruellement frappé dans sa chair. Dans ce petit village paisible jusqu’alors, soudain vont jaillir et se répandre la colère et la haine, fruits de l’injustice et du malheur. Ouillis saigne et pleure avec Marinette, Nanou et Alain qui s’appuient sur lui pour pouvoir trouver la force d’aller jusqu’au bout de leur désespoir. Le destin tragique de Coco rejoint celui du pays qui l'a vu naître et périr, grandir dans l'insouciance et le bonheur et succomber à la folie des hommes. Aucun Ouillissien n’entendra plus jamais le bruit d’une forge sans penser avec émotion à son forgeron perdu. Les enfants de Ouillis deviendront pompiers ou aviateurs, ils ne rêveront plus jamais d’être forgerons.
Mise à jour le : 17/03/2006
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