LE DEPART L'ADIEU
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LE DEPART, L'ADIEU

Nous sommes à table, ce soir là, comme tous les soirs après la fermeture du café, le « Bar des Sports ». La fraîcheur commence à monter, il a fait chaud toute la journée, et nous ne sommes qu’à la fin du mois de juin.

Un bruit de pas dans la rue, et quelqu'un frappe au volet de la fenêtre de la cuisine. Peut-être un client tardif ? non, c’est l’un des jeunes militaires qui sont en poste au village. Il fait le tour des habitants pour les informer que la garnison vient de recevoir l'ordre de se replier sur Mostaganem, et donc que, dans quelques jours, probablement dès demain, l'armée ne sera plus en mesure d'assurer la sécurité des habitants européens de Ouillis.

C’est à ce moment là que mes parents ont décidé de partir.

Le repas s’est interrompu, nous n’avons plus faim. Mon père nous a consulté du regard, ma mère est exténuée par une longue journée de travail, elle sert au Bar, prépare la Kémia qui a fait notre réputation, tient les comptes de la bourrellerie, fait la cuisine et assure l’entretien de la maison : elle baisse la tête. C’est un signe d’approbation, car elle connaît déjà la décision qu’il va prendre.

C’est aussi et surtout un signe de renoncement : puisque la France nous abandonne …

Depuis quelques jours déjà, elle a envie de céder aux pressions familiales qui viennent de la métropole. La Famille qui s’est installée dans le Doubs, et surtout son frère, mon parrain, et son épouse que tout le monde appelle « Tata Yvette » nous supplient de venir les rejoindre. Ils ont vécu au Maroc et ont quitté leur pays au moment de l’indépendance de celui-ci, en 1956.

Depuis ils se sont installés à Montbéliard et insérés dans la société Franc-Comtoise. 

Mon parrain, homme dynamique et travailleur infatigable comme tous les hommes de la famille, a trouvé très vite un emploi chez Peugeot, à Sochaux. Ils nous proposent avec une affectueuse insistance, de nous accueillir chez eux. Et surtout ils nous vantent la qualité de la vie là-bas que nous résumons en un mot, un seul : la Paix !

A plusieurs reprises, depuis la signature des "Accords d'Evian" au mois de mars, mon père a tenté de la convaincre d'aller "se mettre à l'abri" pour quelque temps, le temps de voir comment va se passer l'indépendance de l'Algérie qui, officiellement est dans quelques jours: le 3 juillet prochain. Il voudrait  que nous partions en métropole, lui resterait pour veiller sur notre maigre patrimoine, mais ma mère a refusé catégoriquement : nous partirons ensemble, si nous partons.

Après tout, nous n'avons rien à nous reprocher. 

Mais la crainte de représailles aveugles (l'avenir montrera que cette crainte est fondée) est quand même la plus forte.

Nous sommes, je l’ai déjà dit, dans la deuxième quinzaine du mois de Juin 1962, je viens de fêter mes 21 ans ! je suis majeur depuis une semaine (âge légal de la majorité à cette époque).

Ainsi, en quelques minutes est prise la décision de partir.

Chacun d’entre nous a immédiatement et pleinement conscience que c’est un départ sans retour. A aucun moment nous ne doutons du caractère définitif de ce départ : une page se tourne, ou plutôt, bien plus que cela, un chapitre entier de notre vie se termine.

Le surlendemain matin, nous nous entassons dans la Dauphine, avec quelques bagages, une valise chacun : direction la Sénia, aéroport d’Oran. Au moment où nous passons devant la ferme RICHERMO, j’entends ma sœur, Viviane, qui laisse échapper un sanglot, je serre les dents : je dis intérieurement adieu à mon village, Ouillis, je dis adieu à mon enfance, adieu !

--O--

 

LE TEMPS DU SOUVENIR

Les années ont passé. Quarante trois années de mémoire qui se construit, de souvenir vivace, sélectif et tenace.

Avec le temps, je prends conscience que ce petit village que j’ai tant aimé, le village de mon enfance, risque de s’enfoncer petit à petit dans les profondeurs de l’oubli. Il faut donc le faire revivre ou tout au moins laisser une trace de son existence avant la rupture. Le faire revivre, c’est donc écrire, ou plutôt tenter d’écrire quelques pages qui retraceront ou illustreront une partie de son histoire.

Le faire revivre, et d’abord le faire renaître … retrouver la date, ou au moins l’année de sa naissance : c’est fait, je l’ai retrouvée : 1873.

Quand nous quittons en cette année 1962, la terre d’Algérie, Ouillis a 89 ans. Quatre vingt neuf ans, c'est beaucoup et c'est très peu, c'est à échelle humaine.

En tout cas, pour un village, c'est bien trop peu pour mourir. Je veux dire mourir dans l'histoire, dans nos mémoires et celles de nos enfants, car, bien sûr Ouillis a continué d'exister après notre départ. Mais, il faut se rendre à l’évidence : Ouillis n'existe plus depuis ce mois de juin 1962 : d'ailleurs, il a changé de nom, il a perdu ses habitants, en a retrouvé d’autres et il s'est développé à un rythme frénétique, seul le coeur du village est resté à peu près en l'état.

Le village, tel qu’il existe actuellement ne nous appartient plus. Seul le souvenir nous appartient.

Je ne peux, bien sûr, le regarder avec indifférence, car je l'aime toujours, avec ses rues animées, ses maisons alignées, recolorées. Bien sûr, je l’aime toujours.

Mais, aujourd'hui, je l'aime d'amitié … hier je l'aimais d'amour.

Les Ouillissiens mes amis d'enfance, se sont dispersés aux quatre vents de cette France où ils ont été transplantés. Mais, une partie de cette terre d'Algérie, d'argile, d'eau de mer, d'ombre et de soleil est restée collée à leurs semelles, elle s'est incrustée à jamais dans leur cœur.

Je vais aussi essayer de retrouver leur trace et les faire participer à mon travail de mémoire.

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Mise à jour le :   28/01/2010