anecdotes Extrait de textes de Jean-Marie AGULLO Le forgeron d’ AÏN-TEDELES :
Nous
sommes en 1926-1928 .Mon grand-père avait un ami qui était également
forgeron. Un nommé FERNANDEZ qui tenait commerce à Aïn-Tedeles , village situé
à 18 kilomètres de Ouillis, plus à l’intérieur des terres.
Sa semaine de travail terminée, cet homme parcourait à pieds toute
cette distance qui séparait les deux villages. Il descendait vers la plaine du
Chélif, la rivière la plus importante d’Algérie et passait sur les «terres
blanches». Ce lieu-dit était appelé ainsi car le sol était blanc comme de la
craie. A cet endroit, de grandes excavations matérialisaient «les carrières
de Ouillis». Il
traversait ensuite le pont sur le Chélif puis remontait vers les collines de
Ouillis.
Arrivé au village, Fernandez passait par la maison familiale où
l’attendait mon grand-père puis ils parcouraient ensemble toujours à pieds,
les quatre kilomètres qui séparaient Ouillis de la mer. Ils évitaient la route pour prendre un sentier,
raccourci que les villageois connaissaient bien. Ce sentier passait par «la
cascade», un endroit où coulait une chute d’eau, sous laquelle débouchait
une grotte.
Les deux hommes arrivaient à la «plage des Clovis» du nom de ces délicieux
coquillages qui se cachent dans le sable. Cette plage s’étirait sur des kilomètres
en direction de l’est jusqu’ à Bosquet, premier village voisin. Une longue
bande de sable blanc et fin interrompue à un endroit seulement par la « pointe
des Corbeaux », une petite avancée rocheuse qui « retenait le
poisson ».
Ils rejoignaient là, femmes et enfants pour camper le week-end et
s’adonner à leur passion, la pêche. Des bâches étaient tendues entre les
« Zimbas », les genévriers ou «cades» provençaux qui poussaient
en bordure des dunes. Les deux familles profitaient du soleil, des bains et des
barbecues en cet endroit paradisiaque. Les cabanons sur la plage :
Quelques années plus tard, vers 1933-1935, mon grand-père et son ami
Fernandez ont construit chacun leur cabanon, sur la plage de Ouillis, à
l’ouest de « la pointe des corbeaux ». Valentin a bâti le sien sur une chape de béton mais
la construction était en planches. De dimensions modestes, elle était néanmoins
assez grande et la famille y passait de bons week-ends. Une pièce unique
composait l’intérieur.
Le cabanon du forgeron d’ Ain-tédelès était plus grand et dressé au
dessus de la plage, sur des pilotis, comme la plupart des autres cabanons. Quand le soleil était au zénith et que la chaleur
devenait trop écrasante, il faisait bon aller s’allonger sous la construction
et faire la sieste sur le sable, entre les pilotis. « il y faisait presque froid par moments.
Qu’est-ce que c’était agréable ! »
Les colons les plus fortunés étaient propriétaires de grands cabanons,
de véritables villas de bois, en fait. Ils passaient là tout l’été,
laissant le soin à leur gérant, de faire tourner l’exploitation.
Pour le
15 Août, tous les villageois se retrouvaient à la plage de Ouillis pour un
grand pique-nique. On allait d’un cabanon à l’autre pour fêter les
« Marie » et c’était l’occasion de boire un petit coup à
chaque fois. Il y avait Marie LIGNEREUX, Marie LOUBET, Marie FORT,
Marie BRETON, Marie LEYDET… autant d’occasions d’ aller congratuler ses
voisins et de boire un verre. Une grande convivialité et beaucoup de rires
animaient ces jours là.
Miguel, le pêcheur :
Un important colon de Ouillis s’appelait RICHERMO. Son cabanon était l’un des plus imposants et des
plus confortables de la plage. En plus de l’exploitation agricole, RICHERMO
employait un pêcheur qui vivait toute l’année sur la plage de Ouillis. Un certain Miguel qui avait travaillé par le passé
sur un chalutier basé à Mostaganem et qui travaillait maintenant à plein
temps pour le sieur RICHERMO.
Miguel avait une grande expérience de la pêche et il connaissait les
fonds environnants mieux que personne. Pour capturer des langoustes, il partait en mer sur sa
barque et prenait des repères sur la côte. Quand le cap était fixé, il le
maintenait vers le large et regardait sa montre. Une demi-heure, une heure… la
terre avait disparu depuis longtemps et seul le repère du temps et la vitesse
de la barque lui permettaient de retrouver les coins qu’il connaissait. Il larguait alors des nasses et gîroliers qu’il
reviendrait chercher quelques jours plus tard. Un simple morceau de liège
balisait l’engin de pêche en surface.
Quand il venait relever ses pièges, Miguel trouvait souvent de
magnifiques langoustes qui allaient faire le régal de la clientèle.
Il arrivait aussi que l’engin ait disparu ou ne soit plus repérable.
D’énormes pétroliers passaient par là, au large du Cap Ivi, et certains
d’entre eux devaient arracher des longueurs de corde, prises dans leurs
gigantesques hélices.
Avant que mon grand-père ne construise son cabanon, il lui arrivait de
venir pêcher le samedi soir sur la plage de Ouillis et alors mon père passait souvent la fin de la nuit dans le garage
à bateau de Richermo. Il dormait dans une barque, bien installé dans des
couvertures.
Miguel leur proposait de partager son repas et mon père a gardé un
souvenir impérissable du ragoût de « chat de mer » ( petit squale
) et de la tisane qui clôturait le festin. « Miguel faisait infuser des
bourgeons de pin. Qu’est-ce que c’était bon ! »
Un jour, Miguel fit un cadeau qui emplit mon père de joie. Un « épervier ». Pour la plupart des gens,
ce nom évoque un petit rapace mais il s’agissait en fait d’un filet à
poissons que l’on lance à quelques mètres devant soit, quand l’eau n’est
pas très profonde. Un engin de pêche qui peut s’avérer très efficace
quand on sait l’utiliser.
Hélas, quelques années plus tard, mon père le prêta à René BRETON.
Ce dernier lança un jour l’ épervier sur le «rocher plat», un endroit
poissonneux qui se trouvait avant la ferme «RIBIERE» après le lieu-dit «le
ravin» en allant vers «les congres». Les fonds devant le rocher plat, étant très découpés,
l’ engin s’ y accrocha et René BRETON ne pût le récupérer. Papa n’
avait que huit ou neuf ans et ne pût aller récupérer le filet.
Coco,
le goéland:
Papa avait une dizaine d’années quand cette anecdote pris naissance.
Il était parti en compagnie de mon oncle Lucien, son aîné de neuf ans, pêcher
dans un endroit qu’ils affectionnaient. Il fallait dépasser le Cap Ivi et continuer sur
environ quatre kilomètres, longeant la côte en direction de Mostaganem, pour
accéder à un endroit propice à la pêche.
Le
mulet et la calèche étaient abandonnés en lisière du maquis et il fallait
faire plusieurs aller-retours pour traverser la plage et acheminer les affaires.
Ils allaient passer la nuit sur un écueil et ils avaient prévu lampes,
sandwichs, couvertures et matériel de pêche. « On retroussait nos pantalons et on progressait
sur un banc de sable en direction d’ un minuscule îlot. Nous avions de
l’eau à mis-cuisses et il fallait marcher prudemment sur une cinquantaine de
mètres pour atteindre le rocher. Cette sortie de pêche prenait des allures
d’expédition. » La nuit passa et au petit matin, mon père constata
qu’un goéland tournoyait en piaillant au dessus de leur tête. L’oiseau
volait de plus en plus bas et semblait agressif, signe révélateur de la présence
d’ un nid. Mon père grimpa sur le rocher qui dominait le récif
et découvrit un jeune goéland tapis dans une anfractuosité de la roche. Cet
oiseau ne risquait pas de quitter le nid car il n’ avait pas encore de plumes.
Mon
père décida de le ramener chez lui et s’en empara. Le jeune volatile fût installé dans un panier et le
retour vers la plage commença. Mon père déposa le panier sur le sable et se dirigea
vers la calèche avec une partie des affaires. Il entendit piailler et se
retourna. L’ oisillon était déjà dans l’eau et palmait du mieux qu’il
le pouvait pour retourner vers son rocher natal. Mon père se hâta de le récupérer
et l’emmena vers la calèche où il l’installa. Lucien et son jeune frère devaient suivre l’attelage
à pieds. Ils ne pourraient s’installer sur les banquettes qu’ une fois
parvenus au sentier plus carrossable. En chemin, mon père décortiquait des moules qu’ils
avaient ramassées sur le rocher et les jetais au goéland qui les gobaient au
vol. Une fois rentrés à la maison, papa installa
l’oiseau sur son balcon, entre le vitrage et les persiennes. Le régime à base de moules
lui convint parfaitement et au bout d’une semaine le nouveau pensionnaire fût
installé dans la forge. Quinze
jours plus tard, il était couvert de plumes et s’ habituait
à
la présence des hommes. Il ne manifestait plus du tout d’inquiétude quand on
l’approchait et mon père décida que le moment était venu de lui faire goûter
à un peu de liberté. En contrebas de la forge, après les jardins potagers,
coulait une rivière où le volatile se délectait de baignades . Quand venait l’heure de regagner la forge, mon père
l’appelait : « Coco ! Coco ! » et l’oiseau
volait jusqu’à lui en poussant des « goloq, goloq » puissants. Les villageois s’étaient habitués à voir ce
sympathique goéland évoluer au dessus de la forge. Six mois passèrent. Un
jour mon père ne vit pas son goéland revenir. Un arabe vint le voir et lui dit : « tu
sais où est ton goéland ? Je l’ai vu à la cascade ! » Cet
endroit se trouvait assez loin du village. L’oiseau avait suivi la rivière et était parvenu à
la chute d’eau. Il y passa quelques heures mais de cet endroit où l’eau
sautait en contre-bas dans les roches, on pouvait voir la mer. Devenu adulte et peut-être en quête de congénères,
le protégé de papa ne pût résister à l’appel du large. Il prit son vol
vers l’étendue bleue. Mon père pleura un peu cet ami disparu. Il ne
l’oubliera jamais. BAYARD…
mais pas sans peur !
Nous sommes aux alentours de 1930. L’ épicier BERARD, possède une
voiture qui ne manque pas de charme. Il s’ agit d’une BAYARD et mon père précise que les roues étaient en bois.
Des roues avec des rayons, comme celles des charrettes de l’ époque. Ces voitures n’étaient pas vraiment taillées pour
la vitesse. Non pas que le moteur manque de puissance mais leur châssis élevé
au dessus du sol et l’étroitesse de leurs pneus ne garantissaient pas une
grande stabilité dans les virages.
Un jour, la famille au grand complet s’installa dans le véhicule pour
descendre vers la plage de Ouillis. Nous étions certainement un dimanche car le
panier du pique-nique était installé à l’arrière ainsi qu’une
gargoulette d’eau fraîche. La gargoulette était une sorte de cruche en
terre, à la forme particulière, munie d’ une petite anse sur le dessus afin
de la suspendre à une branche, à l’ombre, et on venait la balancer de temps
en temps pour que le courant d’air provoqué, rafraîchisse l’eau.
Cinq kilomètres de descente, donc, pour arriver à la plage. Il y avait un virage qui avait été baptisé «
Le fer à cheval » par les habitants du village. On imagine tout de suite
la forme serrée qu’il pouvait avoir.
Roulant certainement trop vite pour la configuration des lieux et
surestimant les capacités de tenue de route de son véhicule, M. BERARD amorça
le virage à trop grande vitesse. L’inévitable arriva. La BAYARD qui n’était plus « sans peur et sans
reproches » fila tout droit dans le décor et termina sa route après
avoir dévalé un talus en pente sur une dizaine de mètres. Le véhicule se
coucha et s’immobilisa les quatre fers en l’air. Tout le monde fût éjecté.
Heureusement, il y eu plus de peur que de mal. Chacun comptait ses bleus
et ses bosses mais personne n’avait été sérieusement blessé suite à
l’embardée du véhicule. La journée était fichue, le pique-nique éparpillé
dans les buissons. On eut recours à des mulets pour sortir la BAYARD du
fossé et la remettre sur ses roues. Poussiéreuse et cabossée, elle démarra
malgré tout.
Ah ! un détail. Malgré la fragilité connue de l’ ustensile ,
on retrouva néanmoins la gargoulette intacte dans l’herbe
Le tour de vélo:
Mon
grand-père avait une voiture de marque Renault. Nous sommes en 1935 ou dans ces
environs et cette voiture s’ apparente aux tacots que nous pouvons voir dans
les vieux films en noir et blanc d’avant guerre. Elle faisait un bruit
particulier et on pouvait identifier ce modèle en entendant le bruit caractéristique
de son moteur qui se propageait en deux temps : ron-ronnnnn….le deuxième
temps étant plus long.
Un jour mon père accompagna Jacques, le fils du facteur, dans sa tournée.
Il arrivait que M. Richard cède sa musette et son vélo à son fils et ce
dernier effectuait alors la distribution de quelques lettres afin d’ alléger
le travail de son père.
Papa
et son copain étaient allés jusqu’au Cap Ivi qui se trouvait à 5 kilomètres
de Ouillis, afin d’ amener le courrier au gardien du phare.
Mon père n’avait pas de vélo. Et pour cause ! Mon grand-père
cultivait une idée qui peut sembler saugrenue de nos jours mais qui était répandue
à cette époque : le sport pouvait être néfaste car à trop transpirer,
on risquait de tomber malade.
Point de pharmacie à tous les angles de rues, de médecin que l’on
consultait fréquemment. La plupart des blessures accidentelles ou des maladies
étaient soignées à domicile par les parents eux-mêmes, avec les moyens du
bord. Une bronchite pouvait avoir des conséquences
catastrophiques car les antibiotiques n’étaient pas répandus.
Papa suivait alors à pieds son ami Jacques qui, lui, pédalait. Sur le chemin du retour ce dernier proposa à mon père
de lui prêter son vélo. On était loin du village et la route était déserte.
Enchanté par l’idée d’utiliser une bicyclette, engin dont il était privé
et dont il rêvait souvent, il ne se fit pas prier. Son père était au village
et n’en saurait rien.
Mais voilà…mon grand-père était parti ce jour là pour Mostaganem.
Il devait s’y rendre de temps à autres pour acheter le matériel dont il
avait besoin à la forge.
Papa était maintenant en plein effort car la route grimpait de plus en
plus vers les collines où se trouvait le village. Il faisait chaud et son front
et sa chemise étaient trempés.
Il blêmit soudain quand le silence de la campagne fût troublé par un
bruit qu’il identifia aussitôt ! Le ron-ronnnnn caractéristique qui se
faisait entendre, s’amplifiait dans son dos. Mais il était trop tard pour
descendre du vélo. Il était repéré !
La voiture le dépassa puis s’ immobilisa. Quand mon père arriva à sa
hauteur, il vit le regard noir et froid de mon grand-père qui ne lui adressa
qu’un seul mot : « Monte ! ». Mon père s’empressa de
rendre le vélo à son propriétaire et monta promptement dans le véhicule. Mon grand-père ne plaisantait pas avec les actes de désobéissance. En lisant ce texte papa se rappelle que M. Richard,
facteur en métropôle, avait été muté à OUILLIS. Il avait quatre enfants :
Josette était l’ aînée et elle avait environ deux ans de moins que mon père. « Elle a été mon premier amour. Le soir,
après souper, je me rendais à la poste où la famille Richard avait leur
appartement et je sifflais pour que Josette me rejoigne. Un soir elle me dit :
« Ne siffle plus. Tout le monde sait que tu es là ! » C’était avant que je parte à l’armée.
Le pigeon du père LARRIBE :
Le « père LARIBE » comme l’appelaient les jeunes du
village, était l’un des trois forgerons de Ouillis. Il avait construit un
pigeonnier dans son jardin et vouait une grande passion pour les pigeons
domestiques qu’il élevait.
Son volatile préféré, un magnifique pigeon de belle taille, avait été
baptisé du curieux nom de Touzouze. Sans doute un mot arabe ayant une
signification valorisante qui vantait les qualités du bel oiseau
Au village, chaque famille avait au moins un, voir plusieurs fusils pour
aller traquer perdreaux et lièvres dans les champs. Les gamins du village étaient imprégnés de cette
culture de la chasse très développée dans ce milieu rural mais faute d’ être
en âge d’ avoir le droit de se servir d’une arme, ils utilisaient un engin
moins meurtrier mais qui pouvait parfois
s’avérer tout aussi efficace : le « Stack ». Une branche d’olivier taillée puis mise en forme le
temps que le bois sèche, deux élastiques suffisamment costauds, une pièce de
cuir pour contenir le projectile et voilà un engin de chasse, pas très précis
mais pouvant être performant à courte distance.
Dans les années 70, mon père et mon oncle Lucien racontaient cette
histoire en riant : « Touzouze ! Touzouze ! » on
entendait le soir dans tout le village, le père Larribe qui appelait son pigeon
et le cherchait désespérément. Le bel oiseau n’avait pas rejoint son pigeonnier
comme il le faisait tous les soirs… et pour cause. Pris sous le tir d’ un
stack enthousiaste et fébrile, le pauvre volatile avait vu son existence abrégée
pour finir sur un feu de camp improvisé par des gamins qui allaient savourer la
pièce de choix bien grillée qu’ils avaient capturée ce jour là
Des
grives par centaines !
Nous sommes aux environs de 1935. Deux enfants ont devant eux un tas de
plumes.
Papa et sa sœur Valentine sont de corvée. Il faut plumer une grande
quantité de grives qui seront ensuite conservées dans de la graisse et stockées
dans des jarres.
Point de réfrigérateur à cette époque et le gibier ( grives,
perdreaux…) était « confit » dans de la graisse de cochon, moyen
efficace de conservation.
Ce travail est long et fastidieux et les enfants profitent de ce que les
parents ont le dos tourné pour dissimuler furtivement quelques oiseaux sous le
tas de plumes qui grossit.
« Un piège, une grive ! » précise papa. « En
bordure de forêt nous posions les pièges et nous tracions une ligne dans la
terre juste à coté afin de les retrouver. Le lendemain, il y avait une grive dans chaque piège. »
Quelquefois, papa accompagnait mon grand-père à « la source »
du côté du Cap Ivi. Quand il savait qu’une sortie prés de ce point d’eau
était prévue, mon père allait au « Bordj », le fort du village et
frappait à la porte du garde-champêtre.
M. SERVERO ne se faisait pas prier pour lui prêter sa carabine 6 millimètres.
Pendant que mon grand-père posait les pièges, mon père se postait dans
les fourrés, à quelques mètres de la source et attendait qu’une grive
vienne boire. Pour faciliter son action de chasse et avoir une bonne visibilité,
il avait disposé auparavant une pierre ou deux au bord de l’eau et l’oiseau
trouvait là un perchoir qui souvent lui devenait fatal.
Des Loutres… ?
Papa était enfant quand il fit une rencontre inattendue et plutôt
insolite sur la plage des Clovis. Sous la falaise qui surplombait la plage, une cavité
avait été creusée par la mer et il fallait se baisser pour accéder à une
petite grotte qui s’élevait au dessus du rivage, à proximité immédiate de
l’eau.
Alors que mon père remarquait, étonné, qu’il y avait là un
amoncellement d’arêtes de poissons et de coquillages, il sursauta en voyant
une bête de taille assez conséquente, couverte de poils et pourvue d’une
longue queue, détaler à toute vitesse en longeant la paroi rocheuse, pour
disparaître dans la mer.
De retour au village, il raconta ce qu’il avait vu. Hélas, à cette époque
la vie était suffisamment rude pour que les hommes ne se soucient du devenir
des bêtes sauvages. On lui expliqua qu’il s’agissait d’une loutre de mer
et que cet animal était considéré nuisible car excellent pêcheur, capturant
poissons, oursins et coquillages qui constituent l’essentiel de ses repas.
Un soir, le garde-champêtre se posta sur la falaise au dessus de la
plage et attendit. Une balle frappa l’animal alors qu’il sortait de la
grotte pour aller dans l’eau. Triste sort pour celle qui fut peut-être, la dernière
loutre de Ouillis… en tout cas, mon père n’en revit plus.
Et des phoques !
Des phoques en Algérie… !!! ??? Enfant, j’associais l’image du phoque à un paysage
polaire, aux eaux glaciales, à la banquise et aux chasseurs esquimaux. Mon père
me racontait qu’il y avait des « Veaux marins » en Algérie et
l’idée qu’un tel animal puisse vivre sous ces latitudes me paraissait complètement
saugrenue et me laissait perplexe. Pourtant, Papa les avait vus…
De même qu’une grotte « à loutre » s’ ouvrait sous la
falaise de la plage des Bosquets, une autre grotte que les Ouillissiens
appelaient « grotte des Veaux
marins », se situait à l’ intérieur du petit cap qui bordait la plage
de Ouillis sur son côté Est.
A la différence de la grotte de la loutre qui était « au sec »
sur la grève, celle des «veaux marins» bien que prenant également naissance
sur la plage, plongeait ensuite sous la falaise pour disparaître sous
l’eau. Le petit cap qui terminait la crique de Ouillis était donc percé à
son extrémité, sous le niveau de la mer.
Cette grotte avait été baptisée ainsi car elle était parfois fréquentée
par des phoques communs. Cette variété de phoque était alors courante en Méditerranée,
tellement répandue qu’il arrivait aux pêcheurs d’en capturer dans leurs
filets, ces mammifères marins périssant noyés, victimes de leur voracité.
Les filets étaient alors très endommagés, les nasses parfois détruites
aussi et le Veau marin, pêcheur émérite
fut rapidement considéré, à l’instar de la loutre, comme
un animal nuisible, un concurrent redoutable devant être éradiqué.
Il fut décimé, tiré au fusil comme un lapin, pratiquement rayé de
tout le bassin méditerranéen. En Corse, dans les rochers de la Scandola, il y
a une grotte dite « des Veaux marins » mais le dernier phoque
« corse » a été abattu dans les années 50 .
Heureusement, même si la
colonie est très restreinte, il reste quelques rares sanctuaires en Méditerranée
où des phoques communs coulent des jours heureux. « Alors que nous pêchions à la canne depuis les
rochers, il nous arrivait de voir un de ces animaux. Il sortait la tête de l’
eau, nous observait un instant puis
plongeait pour disparaître sous la surface ». Dangereuse
« Cuvette » :
Le climat côtier d’ Afrique du nord était doux, les plages de sable
attrayantes et la limpidité de l’eau pouvait dissimuler de réels dangers.
Enfant, mon père était déjà un nageur intrépide, habitué à passer
des heures dans l’eau, aussi à l’aise qu’un poisson. Une journée lui
laissera pourtant un souvenir cuisant.
Alors qu’il se baignait avec son ami Lucien Diagorn un peu plus âgé
que lui, il sentit à un moment que
quelque chose n’allait plus…
Ils barbotaient depuis quelques instants au lieu-dit « La Cuvette »,
à l’extrémité Est de la plage de Ouillis, quand ils s’aperçurent que la
côte défilait de plus en plus vite sous leurs yeux.
Ils entreprirent de se rapprocher rapidement du bord mais un courant de
plus en plus fort les entraînait vers la pointe de la « Grotte des Veaux
marins ». Arrivés vers l’extrémité de la crique, ils constatèrent
qu’ils dérivaient maintenant vers le large !
Mon père usa de toutes ses forces pour se diriger vers les rochers les
plus proches avant que ceux-ci ne deviennent inaccessibles. Il parvint à
regagner le bord mais était littéralement épuisé. Lucien, plus costaud que
lui mais moins bon nageur, fût entraîné vers le large.
A l’extrémité Est de la crique, au large de la plage, un unique
rocher bien connu des pêcheurs émergeait à peine de l’eau.
Par miracle, Lucien réussit à s’agripper au rocher pendant que mon père
se mit à courir pour aller chercher de l’aide. Il n’y avait aucun témoin
de ce drame et papa dut courir un moment pour donner l’alerte. Des pêcheurs
du village, à bord d’ une barque à moteur, arrivèrent sur les lieux.
Lucien, terrorisé, n’avait pas lâché sa bouée providentielle. Le rocher à
fleur d’eau, était couvert de concrétions et de moules, et l’enfant avait
le torse et les bras en sang. Deux
hommes costauds, Mimile PANIS et FIRMIN FAURE, agrippèrent l’ enfant et l’
un d’ eux dû quasiment l’ assommer pour qu’il lâche le rocher et qu’on
puisse le hisser à bord.
La plage de Ouillis laissera à papa de merveilleux souvenirs de
baignades mais aussi celui impérissable de cette journée qui aurait pût finir
tragiquement. « Nous appelions Nordet, le vent qui arrivait du
large (nord-est) et qui pouvait créer des vagues assez fortes. La Cuvette était
alors l’ endroit idéal pour se baigner car le cap empêchait les vagues de se
former ».
Amis d’ enfance, Lucien et papa partageront de bons moments dont papa
se souvient encore. Chargés par leur père de faire boire les chevaux, ils s’
élançaient au galop sur la plage de Ouillis, filant vers « le ravin »
où coulait l’ eau fraîche qui provenait de « la cascade ».
Les montures étaient trempées de sueur après leur course sous le lourd
soleil d’ Algérie. Le retour se faisait à petite allure car il n’ était
pas question de faire courir une bête qui venait de boire.
Quelques années plus tard, Laurette DIAGORN, sœur de Lucien, épousera
mon oncle Lucien et deviendra donc la belle-sœur de papa.
Le pauvre Lucien DIAGORN sera tué en 1944 par les allemands lors de la
campagne d’ Italie. Je me souviens, enfant en vacances à Béziers, d’ un
cadre avec sa photo en uniforme dans la salle à manger de mon oncle et ma
tante. Un jeune homme souriant regretté de tous.
Les
« Tchoutches »
«Enfants,
nous aimions plonger des rochers bordant « la cuvette ». L’ eau était
parfois très claire et on voyait très bien le fonds. On pouvait regarder les
poissons sous la surface de l’ eau et parfois on apercevait un tchoutche ».
Il y avait beaucoup de tchoutches devant ces plages (appellation locale
de la raie pastenague). Ces raies qui peuvent atteindre de grandes tailles, sont
dangereuses car dotées de dards venimeux à la base de la queue. Les pêcheurs en capturaient souvent dans leurs filets.
Elles étaient retenues par la queue, les dards s’ étant emmêlés dans les
mailles.
« Quand, au moment de plonger, on voyait un tchoutche planer au
dessus du fond, on allait plus loin. Pas question de courir après ce genre de
bestiole ! »
L’ église de Ouillis :
Mon père me dit que l’église de son village
était très belle. Je ne désespère pas de trouver un jour, des photos de
Ouillis et de son église.
Passé la porte, on se retrouvait dans le transept. De chaque côté
pendait une grosse corde de chanvre. Elles disparaissaient dans des trous du
plafond pour poursuivre leur ascension jusqu’aux deux cloches, logées dans le
clocher.
Enfant de chœur, mon père était souvent amené à les faire sonner. Il
aimait sauter le plus haut possible pour attraper l‘une des cordes et se
laisser soulever par le balancement de la lourde cloche qui prenait alors assez
d’amplitude pour sonner à toutes volées.
Un jour, il y mis tant de d’ardeur qu’ il s’éleva plus que
d’habitude dans les airs et sa tête vint heurter le plafond. «
le trou aurait été plus grand, je me serais retrouvé dans le clocher ! ».
On entrait ensuite dans la … où des statues de saints grandeur nature,
se dressaient de part et d’autre.
Le
parrain de papa.
Quand papa est né ce 16 janvier 1923 à Ouillis, le Maire du village était
Pierre DURIEU. Ce homme devait être proche de mes grands-parents
puisque ceux-ci lui proposèrent d’être le parrain de leur dernier né. Pierre DURIEU accepta et fût un parrain d’une grande
gentillesse et générosité. Quatre vingts ans plus tard, mon père se souvient
encore de certains des beaux jouets
qu’il lui offrait chaque année pour son anniversaire. « Des mécanos (jeu de construction en métal),
des cubes décorés sur les quatre faces avec de beaux dessins à assembler, un
train électrique… qu’est-ce que j’étais gâté ! » C’ était sans compter sur la vélocité de la bête
qui, lancée aussitôt à sa poursuite, eu le temps de pincer durement le tendre
mollet.
Mon père gardera toute sa vie cette marque sur sa jambe droite. Une
cicatrice de plus!
Merci
TINTIN !!! :
L’ une des corvées dont mon père est chargé, on dira : « l
‘une des missions », est d’ amener Tintin à l’ abreuvoir chaque
matin et chaque soir. Papa a dix ans environ et c’ est un plaisir pour lui de
lancer Tintin au galop jusqu’ au bassin qui se trouve en dehors du village, à
huit cents mètres environ de la maison familiale. Chaque « aller » se fait ventre à terre.
Le retour se fait obligatoirement au pas car il est dangereux pour le bourricot
de courir avec l’ estomac plein.
La route descend en ligne droite puis, à hauteur d’ un bois,
tourne assez sèchement vers la droite. De plus, la piste est en dévers
dans ce virage et mon père a l’ habitude d’ anticiper la manœuvre en se
penchant vers l’ intérieur de la courbe afin de ne pas être désarçonné.
TINTIN, sachant la récompense proche, ne ménage pas ses efforts et mon
père profite de ce tour de manège qui enchanterait plus d’ un petit citadin.
Mais voilà… Un soir qui aurait pu être comme les autres, les deux
compères dévalent vers le point d’ eau. A l’ amorce du virage, mon père se penche comme d’
habitude, sans imaginer ce qui l’ attend. Dans le bois, quelqu’ un a attaché une bourrique à
un arbre.
L’ âne, subitement intéressé par la belle qui apparaît dans son
champ de vision, file tout droit vers le bosquet d’ arbres et mon père,
surpris par la manœuvre, va valser dans les buissons de chardons. Il en sortira meurtri et piqué de partout, furieux après
cet âne décidément trop bête. 1
Des
poissons magnifiques :
Toutes ces heures passées à la pêche étaient souvent récompensées
par de beaux poissons. La côte était sauvage et peu pêchée, le poisson
abondant et varié.
Un jour, mon oncle Lucien captura une prise de choix . La canne plia à
rompre et il ramena non sans mal sur la plage, une ombrine (magnifique poisson
argenté...et savoureux!) de 14 kilos!!!
Une autre méthode de pêche consistait à entrer dans l’eau et poser
les filets « à bras ». Lucien tenait l’extrémité du filet, mon père
l’autre et tous deux entraient dans l’eau et marchaient vers le large. Les
plages étaient souvent prolongées sous l’eau par des bancs
de
sable peu profonds ce qui permettait de marcher très loin du bord.
Un matin, devant la plage des Clovis, ils allèrent retirer un filet et
eurent de vives émotions en sentant une forte résistance. La surprise était
de taille : « Un chat de mer » de 25 kilos s’était pris dans
la nuit. Une variété de requin tout à fait comestible.
Première
visite à OUILLIS :
Hiver 47. Mes parents viennent de se marier ce 27 décembre et pour leur
voyage de noces, papa emmène sa bien aimée à Ouillis afin de lui faire découvrir
son village natal et lui présenter sa famille; son frère Lucien, sa belle-sœur
Laurette et leur fils Gilles. Marc, leur deuxième fils, naîtra dans quelques
mois.
Papa
fait découvrir à maman la place de son village qu’ ils longent en empruntant
la rue qui mène à la maison familiale. En vis à vis de cette place, entre les garages de la
famille ROUVE et la maison de la famille SOULLIER se trouve une bâtisse dans un
piteux état, un « gourbi », habitation arabe abandonnée depuis
quelques temps dont l’ entrée est dépourvue de porte, tout au plus parée
d’ un rideau de toile délavée.
Facétieux, mon père s’ arrête à hauteur du gourbi et appelle :
« Lucien ?… Laurette ?… » Bien sûr
personne ne répond et il se retourne vers ma mère avec un grand sourire en
disant : « ils ne sont pas là ! »
De sa première rencontre avec sa belle-sœur Laurette, maman se
souviendra de cette phrase : « Tu savais qu’ on avait un artiste dans la
famille ? » - «Non. Qui ? » - « Ton mari ! Il a
creusé une guitare dans un madrier et s’ endort le soir après avoir joué
quelques notes ».
Un bateau espagnol s’
était échoué sur la plage du côté de la ferme RIBIERE et mon père avait récupéré
un morceau de bois qui s’ était détaché de l’ épave. Inspiré par la
forme particulière du débris, il l’ avait découpé et creusé pour en faire
une guitare dont il aimait tirer des notes le soir avant de s’ endormir.
La
forge : Donc en ce début du vingtième siècle, mon grand-père
s’ établit à Ouillis. L’ oncle Vincent est resté à Mostaganem où il a sa
propre forge mais le jeune François a suivi son frère aîné pour tenter sa
chance dans ce village. Il n’ y restera pas très longtemps car les débuts
sont difficiles pour les deux jeunes forgerons et François préfèrera entrer
à la compagnie des chemins de fer, ce qui l’ amènera à s’ établir et à
fonder une famille à SAÏDA.
Dans cette forge nouvellement construite, il y a donc deux enclumes, deux
soufflets, deux étaux et deux machines à percer. Ces machines sont constituées d’ une colonne dotée
d’ une grande manivelle que l’ on actionne pour faire tourner la mèche. Il
faut serrer l’ outil à la main au fur et à mesure pour augmenter la pression
du foret sur le métal afin de le percer car il n’ y avait pas d’ électricité
au village à cette époque.
Le premier soufflet est classique, fait de bois et de cuir. Le second est plus moderne. Il est dit « à
pistons », composé de deux bacs dans lesquels se trouvent des pistons.
Plus tard, papa se rendra rapidement utile à la forge en tirant sur la chaîne
qui actionne le soufflet dés l’ école finie l’ après-midi.
« On fabriquait des pioches, des burins, des fers pour les mulets
et les chevaux, des socs de charrue. On refaisait les ressorts des voitures, amortisseurs
des calèches, trotteuses et fiacres. Avec le temps, les lames d’ acier s’
aplatissaient; On les recourbait pour leur donner plus de force puis
on les trempait.
Il y avait aussi le chatrage des roues. L’ été avec la chaleur, le
bois se resserrait et le bandage qui entourait la roue se mettait à bouger
alors il fallait le réajuster.
On faisait du feu avec des sarments de vigne et on mettait le bandage
dessus. Une fois chauffé à blanc, le fer était prêt à être travaillé. On
soulevait le bandage en passant un poinçon par le trou qui se trouvait à son
extrémité, on le maintenait avec des tenailles puis on le plaçait sur le bois
en s’ aidant de « tirettes ». Une barre était placée dans l’ axe de la roue afin
de la faire tourner dans une fosse remplie d’ eau, spécialement aménagée
dans la forge afin de refroidir rapidement le métal.
Les bandages et les roues étaient numérotés avec des coups de
pointeaux.
Une roulette que l’ on faisait courir sur la roue en bois puis à l’
intérieur du cerclage servait à mesurer la longueur à recouvrir. On utilisait aussi un appareil appelé « refouleuse ».
Il servait à resserrer le bandage en agissant sur la partie que l’ on avait
chauffé. »
Il y a trois forges à OUILLIS et pourtant le travail ne manque pas. Les
colons des domaines viticoles environnants sont de bons clients et beaucoup de
villageois possèdent des calèches ou des charettes qu’ il faut entretenir.
Papa grandira dans cette ambiance. L’ école… un peu. La forge et les
corvées propres à ce milieu rural, le tout entrecoupé de parties de pêche et
de chasse. Mise à jour le : 29/02/2008 |